Aller et venir, mythe et histoire préface

Aller et venir, mythe et histoire
Préface
Fora Blanchon

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Voyage-bonheur («Heureux qui comme Ulysse»), voyage-malheur («Au bout de la nuit»), voyage-devoir (missionnaire) voyage-savoir (qu’y-a-t-il au bout de l’horizon ?), les clefs d’entrée ne manquent pas pour analyser le voyage.
Nous savons aussi que les spécialistes de chaque pays ont tendance à se consacrer en premier lieu à la lecture de l’article qui traite de «leur» zone de recherche. Peu de lecteurs en réalité commencent par le premier article et terminent par le dernier. Le cheminement est donc soumis à des aléas que nous ne maîtrisons pas et la tâche d’organisation des articles est toujours aussi délicate. Pour ce volume nous nous sommes conformés au schéma que nous avons choisi pour les précédents. Nous proposons au travers des seize articles qui le composent, d’aller de l’imaginaire vers le réel, de la mythologie vers l’histoire.
Sur le plan religieux, pour l’Occidental judéo-chrétien, le chemin est originellement celui du nomade sémite et de l’exode. A l’appel de Dieu, Abraham se met en route avec son peuple et doit identifier le bon chemin qui conduit à la Terre promise. Une fois arrivé, l’obéissance à la Loi se substitue au respect de la Voie : «Il faut marcher dans la Loi du Seigneur» (Psaumes,119,1). Le messianisme annonce une nouvelle mise en chemin. Jésus en appelant les Juifs à le suivre se met en route vers Jérusalem et pour ceux qui le suivent, le chemin n’est plus une loi mais une personne : «Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie» (Évangile de Jean,14,6). L’idée de Voie utilisée dans les religions indiennes et chinoises est sensiblement moins concrète : pas de trace d’exode, de chef charismatique, de berger. La Voie est plus proche de la loi ou de la règle que l’on s’impose. Hinayana, Mahayana ou Dao sont des abstractions même s’ils conduisent à des actes concrets. Les quatre premiers articles — Édith Parlier-Renault, François Berthier, Michèle Flamant, Jean-François Hurpré — montrent d’emblée que ce sont les Dieux eux-mêmes qui vont et viennent, en des allers-retours si différents de la linéarité du voyage biblique.
Nous avons ensuite rassemblé des textes qui témoignent dans des pays et des époques différentes du statut des voyageurs et de leurs conditions réelles, que ce soient des «lettrés» en quête d’ascension sociale (Jean Levi), de grands princes comme Seyyidi’Ali Re’is (Jean-Louis Bacqué-Grammont), ou tout simplement des marchands (Sylvie Pasquet), ou des seigneurs de la période Edo (Constantin Vaporis), ou encore des villageois émigrants (Philippe Papin).
Il nous est apparu aussi important de rapporter la vision des «explorateurs», ecclésiastiques comme Mgr Pallegoix (Annick Lévy-Ward), banquiers comme Cernuschi (Sylvie Soubra), ou poètes comme Segalen (Marie Ollier). Les artistes contemporains eux-mêmes, peintres ou romanciers ont rendu compte de l’évolution des moyens de transport : nous avons privilégié l’introduction du chemin de fer au travers du trait de Feng Zikai (Marie Laureillard) et celle du tramway à Pékin qui entraîna fatalement et dramatiquement la fin des pousse-pousse (Paul Bady). Le théâtre rend aussi à sa manière compte du voyage : il est intéressant de noter que la description du paysage varie avec les sentiments des héros (Roger Darrobers).
Enfin, le dernier avatar de la longue tradition de déportation massive de population en Chine, qui a déplacé, pendant la Révolution culturelle, des millions d’étudiants des villes vers la campagne (Annie Curien), suscite aujourd’hui des réactions particulièrement intéressantes et parfois surprenantes tandis que les villes chinoises sont saisies par la frénésie économique.
Dans la composition de ce volume, nous sommes aussi restés fidèles à une autre caractéristique du CREOPS et de ses publications. En effet, nous nous attachons à donner la parole aussi bien à des chercheurs chevronnés qu’à des doctorants ou des étudiants auxquels nous permettons donc de faire leurs premières armes dans ce qui deviendra dans leur vie de chercheur et d’enseignant le moyen de communication avec leurs collègues ainsi que leur principale source d’enrichissement.
Flora Blanchon