présentation expo Li Zhong-Yao

INTRODUCTION

Le Maître Li Zhongyao a consacré son œuvre et ses enseignements à la peinture chinoise « à l’encre et à l’eau » (shuimo). Ce qui fait de celle-ci un genre spécifiquement chinois n’est pas qu’au lieu de couleur à l’huile sur toile il s’exécute à l’encre sur papier, par une technique de lavis largement pratiquée aussi en Occident, mais qu’en Chine, au lieu de procéder de l’image, il procède de l’écriture. Il n’y a que dans la culture chinoise que la calligraphie se soit ainsi déployée en formes figuratives. Bien sûr parce qu’il n’y a qu’en Chine que l’écriture n’est pas simplement logographique, c’est-à-dire composée de graphismes qui ne sont que les représentations de mots de la langue parlée (tels les hieroglyphes dans l’Egypte ancienne) , mais véritablement idéographique, c’est-à-dire composée de mots graphiques qui lui sont propres, systématiquement recomposés dans une langue graphique (wenyan) très formalisée, parfaitement distincte de la langue parlée naturelle. Non seulement ces mots graphiques sont linguistiquement démotivés des ressemblances qu’à l’origine les formes pictographiques dont beaucoup d’entre eux dérivent entretenaient avec les objets auxquels renvoient leurs significations, mais ces ressemblances ont été elles-mêmes gommés par les contraintes techniques de l’écriture au pinceau. Ainsi a été mis en œuvre, dans les caractères chinois, le principe linguistique de la double articulation, dans l’agencement d’un premier niveau de traits de pinceau, standardisés formellement, avec un second niveau de radicaux et de phonétiques, sémantisés symboliquement . De cette manière, les traits de pinceau ont été, dans l’écriture, systématisé comme dans la langue parlée les phonèmes, leurs homologues. Par suite, de même que les phonèmes sont réalisés dans la voix, laquelle peut les chanter en les modulant poétiquement, de même les traits de pinceau se réalisent dans une voix graphique, pour ainsi dire, dont le calligraphe tire les vocalises plastiques que inspire la rémotivation poétique des graphies suivant le sens des mots.
Faisant un pas de plus à l’époque des Six Dynasties (du IIIe au Ve siècle), le calligraphe devenu peintre a transposé aux tracés des figures dont il composait ses tableaux les traits de pinceau composant les caractères de son écriture calligraphiée, dont il avait découvert l’expressivité. Naturellement cette transposition n’a pas manqué de transformer radicalement la créativité du peintre chinois : au-delà de l’image des choses , celui-ci a cherché l’image du sens des choses. La peinture chinoise est devenue essentiellement peinture figurative du sens (xieyi). « Toute peinture recèle une poésie et toute poésie une peinture », disait Su Dongpo. Dans les paysages de Wang Wei ou de Ma Yuan, ce qu’on voit n’est pas l’image d’une montagne comme se voit dans les tableaux de Cézanne l’image de la Sainte-Victoire, mais la figuration poétique du sens cosmique de la montagne, tel que le symbolise pour un esprit chinois le septième des huit trigrammes de Fuxi.
Les peintures de vagues de Li Zhongyao s’inscrivent parfaitement dans cette tradition. Ce sont de merveilleuses figures poétiques de la mer. Cependant, Li Zhongyao connait aussi fort bien l’art abstrait occidental, qui libère des références figuratives. Mais chez lui cette libération, au lieu de précipiter dans le non -figuratif, transporte dans trans-figuratif. Ainsi par exemple l’œuvre intitulée « LE PRINTEMPS EST PARTOUT », est-elle une trans-figuration de la signification cosmologique chinoise de la saison. Ainsi encore de superbes grandes éclabousures d’encres colorées trans-figurent –elles poétiquement les énergies du yin et du yang et des cinq éléments.
Aujourd’hui, nous avons exposé des tableaux d’une dizaine des élèves français de Li Zhongyao, qui ont suivi des cours depuis plusieurs années au Centre. À ses élèves, depuis l’ouverture du centre culturel de Chine à Paris, Li Zhongyao enseigne cette poétique chinoise, à commencer par ses racines calligraphiques comme en témoigne une bel le exécution des Qianziwen (Mille graphies, fait par Alain Daniel) que ne renierait pas un calligraphe chinois. Admirons, à travers les œuvres d’élèves exposées (les tableaux « Des fleures » de grands formats de Chantal Lacombe, de Angélique (?) (+) etc. ), l’excellence de la communication qui se réalise dans l’atelier de Li Zhongyao entre les deux cultures chinoise et française. Remarquons seulement que le genre des fleurs et oiseaux y est largement préféré à celui des montagnes et rivières, sans doute parce qu’il représente un motif paradigùatique (paradisiaque ?) de la poésie fans la littérature française, plus que le paysage, que cette littérature attache plutôt au romanesque.

Léon VANDERMEERSCH

– Correspondant de l’Institut
– Directeur d’Études à l’école pratique des hautes études
– Conseiller du Centre Culture de Chine à Paris