Textes réunis par Denise Bernot
Chercher à comprendre qui sont « les autres » a fait voyager Lucien Bernot dans les sciences humaines autant que d’un continent à l’autre.
Laissons le parler…
Le mot « relation » est un des mots clé de notre métier. Qu’on étudie une chose : un objet comme la charrue, une société : une classe d’âge, ou une institution : le mariage ou bien le baptême, il est toujours indispensable de placer la chose étudiée en relation avec autre chose.
Le bilan des relations entre une ethnie étudiée et les ethnies voisines mène à expliquer ce que sont les « nous » et les « ils ». Dans beaucoup d’ethnies, le nom désignant l’ethnie signifie en fait les hommes : « nous les Mru », « nous les Kami » signifie « nous les hommes ». Si pour le Français de la rue – et des champs – le mot Romanichel a un sens nettement péjoratif, le mot, en lui-même, n’a rien de méprisant. La première « syllabe », rom- correspond au nom que les Tsiganes se donnent à eux-mêmes, quant au reste du mot, il correspond tout simplement au mot indien manush qui signifie « homme ». Le nom qu’une ethnie se donne à elle-même signifie parfois « homme », il peut signifier également une expression laudative : pour les Eskimo le nom qu’ils se donnent à eux-mêmes signifie « le peuple excellent » ou « le peuple complet ». Par opposition à ces nous souvent aimablement désignés, les termes désignant les autres, c’est-à-dire les ils sont généralement des termes de mépris. Le « peuple excellent » désigne les ethnies voisines par « oeufs de poux »… Même placé dans des conditions d’isolement un groupe ethnique a besoin de tisser des relations avec les ethnies voisines, nous recherchons les ils et ils nous recherchent ; les relations entre ethnies participent d’abord de ce besoin inné : nous avons besoin des autres et ces autres ont besoin de nous.