Art et Histoire de Chine 1
PREFACE
Léon Vandermeersch
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De toutes les civilisations aujourd’hui vivantes, la civilisation chinoise est la plus ancienne. Ses lettres de noblesse, -et pour les civilisations les lettres de noblesse sont les lettres tout court, autrement dit l’écriture-, remontent à plus d’une trentaine de siècles. Pourtant elle continue de se montrer plus jeune que jamais, si jeune que d’aucuns ne lui donnent que trente ans au lieu de trente siècles, – ceux qui font de l’avènement de la République populaire l’année zéro d’une Chine entièrement nouvelle.
En vérité, l’illusion de vide historique à l’arrière-plan d’une naissance contemporaine à la modernité avant laquelle rien n’aurait réellement compté, est le produit d’une aberration tenace déformant le passé chinois en reproduction répétitive, de dynastie en dynastie, d’un même modèle de société, dépourvue de la dimension réelle de l’histoire. Aucune société n’a cependant changé autant que la société chinoise durant les trois millénaires pour lesquels nous possédons sur elle assez de sources pour en juger. Ne sont problématiques que les catégories permettant de saisir une évolution différente de celle de nos sociétés occidentales, et qui se formule donc difficilement dans les mêmes termes. Les structures puissamment monolithiques de l’Etat chinois des Yin, cimentées par le culte des ancêtres royaux n’ont pas d’équivalent dans l’Occident ancien qui permettent de les désigner. Faut-il qualifier de féodale la société des Zhou, dont les assises sont cependant bien moins territoriales que parentales et matrimoniales ou la société de l’époque des Six Dynasties, dominée par une aristocratie de grandes familles accaparant la propriété foncière mais qui ne sont ni nobiliaires, ni dégagées de la nécessité de faire consacrer leur pouvoir par l’autorité des lettrés ? On parle aujourd’hui volontiers d’empire bureaucratique pour caractériser la Chine impériale. Mais, pour ne rien dire de tout ce qui distingue la bureaucratie des Han de celle des Tang ou de celle des Qing, qu’est-ce qu’une bureaucratie dont les effectifs sont si réduits que la majorité de ses administrés ne la voit jamais, qui a d’ailleurs pour idéal le non-interventionisme et qui, à l’inverse de l’irresponsabilité typique du bureaucrate, est au contraire responsabilisée par voie disciplinaire et même pénale à un degré inouï ?
Assurément la Chine aujourd’hui, passée par une révolution léniniste, lancée dans le développement industriel, subit la mutation la plus profonde de son histoire. Mais peut-on pour autant prétendre approcher le monde chinois actuel en faisant l’économie d’un détour par le monde chinois historique ? Pas plus qu’on ne saurait analyser l’histoire de la Chine abstraction faite du sens que lui donnent les mutations présentes.
Comme disent les Chinois, il faut «marcher sur deux jambes». Le brillant enseignement de Madame Flora Blanchon dont le lecteur trouvera ici la substance aidera à mieux comprendre la Chine présente par la découverte de la Chine passée.
Léon Vandermeersch