Aller et Venir Faits et perspectives préface

Aller et Venir Faits et perspectives
Préface
Flora Blanchon

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Après le premier volume d’Aller et Venir principalement consacré aux idées suggérées par la notion de voyage, ce second volume a une ambition que l’on pourrait qualifier de technique. Il est en effet principalement orienté sur les supports (route, rail, mer), et les engins, le voyageur passant au second plan.
Naturellement on sait bien que les voies de communication, leur aménagement, leur amplification, ou leur abandon, correspondent à des volontés politiques qui structurent l’espace et consolident les pouvoirs : il suffit de regarder une carte de France pour savoir où se trouvent concentrés les lieux de décision. Le lien entre les deux volumes est donc facile à établir.
C’est donc sous l’angle de leurs effets voulus ou non, on dirait aujourd’hui impact, qu’ils soient politiques ou économiques que nous avons abordé le sujet en intitulant ce second volume Aller et Venir. Infrastructures et Perspectives.

Nous avons commencé par les voies maritimes et fluviales.
Avec Irma Piovano nous apparaît le degré de sophistication juridique qui organisait les échanges maritimes déjà dans l’Inde Maurya et Osmund Bopearachchi, pour Ceylan nous fait le point de ses recherches sur les traces les plus anciennes des échanges est-ouest, relevant notamment la première ambassade chez l’empereur romain Claude.
Michel Didier en décrivant dans le détail la puissance maritime des Chinois de la dynastie Ming nous fait prendre conscience de la question de sa sous-utilisation face aux flottilles occidentales qui se mettent à agresser le territoire continental. L’organisation maritime et fluviale des Chinois fait pourtant l’objet de bien des comparaisons flatteuses en Occident et comme le montre Isabelle Landry-Deron en s’appuyant notamment sur l’exemple du percement des canaux.
Traverser l’isthme de Kra permettait de raccourcir le voyage entre la mer de Chine et l’Océan Indien en évitant de contourner la péninsule malaise. Michel Jacq-Hergoualc’h nous rappelle les tentatives d’organisation des voies transpéninsulaires. Enfin nous terminons cette partie maritime sur l’évolution du système de ferry à Tokyo. Paul Waley nous y montre comment les ponts opèrent une transformation non seulement dans le paysage urbain mais aussi dans la perception culturelle et sociale de la ville.

Sur terre aussi la construction de route sert des objectifs évidement politiques. Qu’elles partent de Chengdu au Sichuan, ou de Xining au Qinghai les routes qui vont à Lhassa sont à l’évidence des moyens d’assurer soit « la cohésion nationale de la Chine » soit « la colonisation du Tibet » selon le point de vue dont on se place. Luce Boulnois, en deçà — ou au delà — de la polémique, nous fait percevoir les extrêmes difficultés que présentent les deux tracés. C’est aussi de cartes dont il s’agit dans ma contribution qui tente de faire le point sur ce que nous connaissons des techniques de cartographie dans la Chine ancienne.
Les déplacements catastrophiques de populations opérés par les Khmers rouges sonnent comme un point final cruel à la tradition sociale du voyage chez les Khmers. Marie-Alexandrine Martin nous montre comment la modernité a introduit la dimension individuelle du voyage naguère régi par la coutume.
Hors des zones pour touristes, le char birman, chef d’œuvre de l’artisanat du bois, reste « la fourmi inlassable de l’activité économique du Myanmar » nous dit Denise Bernot au travers de la description fouillée de ce moyen de transport essentiel à la vie quotidienne birmane et dont la moindre des qualités n’est pas de nous rendre immédiatement sensibles, de façon étonnante, les rythmes, les couleurs, et les saveurs par sa simple évocation (et grâce à la plume de l’auteur).
Enfin Claude Balaize nous apprend que c’est à un Charentais que l’on doit les cyclo-pousses à pédale de Saigon. Ce moyen de transport s’estompe peu à peu dans la fumée des motocyclettes et avec lui les formes de connivence qui liaient le conducteur et son passager.

Le Chemin de Fer, sous son expression la plus moderne du TGV, est probablement le moyen de transport qui a le plus de conséquences sur la structuration du paysage qu’elle soit géographique, économique ou sociale. L’exemple de la Corée montre avec Lee Kyung-Chul comment le laisser-faire peut conduire à la création d’espaces inhumains et combien la puissance du capital est subversive pour le tissu urbain.
La littérature pour enfants s’est approprié ce moyen de transport, et permet aux jeunes Japonais de renouer avec les petites villes et les grands parents, dans un voyage à la fois dans l’espace et le temps C’est sous cet angle que Sylvie Guichard Anguis a analysé la production des plus grandes maisons d’édition pour la jeunesse du Japon depuis la seconde guerre mondiale.

À la lecture de cette présentation rapide, je m’aperçois que nous avons réuni les cinq éléments de la tradition chinoise. L’eau des océans, la terre des routes, le bois des chars, le métal et le feu des trains. Il nous manquait le grand vent des steppes : Françoise Aubin évoque le cas mongol et la problématique complexe posée par le nomadisme face successivement au dogmatisme soviétique et à la modernité. Après avoir triomphé de l’un, il semble que l’accommodement avec l’autre se fasse dans de bonnes conditions.

Enfin nous ne pouvions réaliser ce volume, un peu technique, sans réintroduire la dimension humaine de témoignage. Celui de Didier et Marie-Noëlle Sicard sur la liaison Chine-Vietnam en 1978 et celui d’Ivan Kamenarovic sur son expérience dans le Transsibérien en1997, sont traversés par le même regard amical mais lucide sur ce qui pour la plupart des Occidentaux reste un rêve inaccessible.

F. Blanchon