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Rêve de Jade

 

Rêve de Jade
Roland  LIN CHIH-HUNG
 
 

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D’une manifestation fulgurante de 陽 yang-le ciel, naquit un jour 玉 Yu-le jade. Il s’enfonça dans les profondeurs de 陰 yin-la terre, se nicha dans l’antre du bienfaisant dragon jaune où régnaient les ascendants du Souverain 禹 Yu-le-grand.

Yu-le jade s’imprégna de la semence et des veines du dragon pour offrir aux hommes la plus précieuse des pierres, parangon de vertu, de douceur, de droiture, de courage, d’éclat, et de beauté. Aucun qualificatif n’est assez fort pour le nommer : il est parfait, impérial et immortel.

L’empereur Qianlong l’aime. Sa quête commence dans les profondeurs des sites néolithiques et se poursuit jusques dans le lointain Hindoustan. Il se l’approprie pour gagner un peu de ses mérites, provoque la fusion avec le millénaire 山水shanshui-peinture de paysage pour inventer les 玉山 yushan ou jades-paysagers de l’ère Qianlong.

A Taïwan, Ye Bor-wen les collectionne et Roland Lin Chih-hung les installe, entre nature et paysage, dans l’esthétique contemporaine chinoise et occidentale.

 

Table des matières :

Lire l’éditorial

Préface de Flora Blanchon
Avant propos de Yeh Bor-wen
– en français
– en chinois
Introduction de Roland Lin Chih-Hung
Première partie : Les jades de l’ère Qianlon
Intro (définition du jade)
Chapitre 1 : Le travail du jade pendant l’ère Qianlong
Chapitre 2 : Les ateliers du jade en Chine
Chapitre 3 : La ateliers du jade de l’Hindoustan

Deuxième partie : Les jades-paysagers
Intro
Chapitre 4 : Artialisation et paysages
Chapitre 5 : La conceptualisation du paysage et des jades-paysagers
Chapitre 6 : Les jades-paysagers de la collection Yeh Bor-wen
Conclusion

Bibliographie en langues occidentales
Glossaire des mots chinois
Locutions chinoises (2 pages)
Table des Ill. (avec chinois et 2 poèmes en chinois et traduction)
Table des matières
33 Ill. coul.

 

 

Le Nouvel Age de Confucius

 

Le Nouvel Age de Confucius
Flora Blanchon et Rang-Ri Park-Barjot (dir.)
 
 

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Le confucianisme a traversé deux millénaires d’une histoire qui lui fit souvent violence. Résistant aux pressions du Premier empereur de Chine, à la rivalité taoïste, à l’invasion du bouddhisme, au positivisme occidental et, naguère, au maoïsme virulent des Gardes rouges, le confucianisme a prospéré malgré tout dans la diaspora et dans d’autres pays asiatiques. Il s’est, notamment, confortablement installé en Corée où il structure en profondeur l’ensemble des relations sociales du pays. Aujourd’hui, on assiste à une véritable réhabilitation de cette école de sagesse prônant le respect des rites et un sens moral strict. Les autorités chinoises viennent d’entamer l’élaboration d’un nouveau canon confucéen pour donner du sens à une société à la fois éblouie par le développement économique et tentée pas des religiosités diverses. En Corée du Sud, le confucianisme, questionné par les évolutions économiques et morales, répond par des recherches universitaires visant à confirmer sa pertinence pour les temps modernes. On mesure mieux les enjeux politiques, intellectuels et spirituels de l’étude renouvelée du confucianisme qui aborde ainsi un nouvel âge de son développement.

 

Table des matières :

Le nouveau confucianisme contemporain en Chine et en Corée du sud
Contemporary Neoconfucianism in China and South Korea

Couverture : Confucius pèlerin : œuvre originale de YE Xin

INTRODUCTION
Flora Blanchon, Université Paris-Sorbonne

Chapitre 1 : Pourquoi un retour ?
Why a come-back ?

Compilation et étude du ‘corpus scripturaire du confucianisme, ruzang’.
Présentation du programme de l’Université de Pékin,
suivi du texte en Chinois.
Compilation et Étude du corpus scrituaire
Study of the ‘Confucianist Corpus, Ruzang’.
Presentation of the Peking University’s Program
Tang Yijié, Université nationale de Pékin, Beida

État, questions et perspectives des recherches sur le confucianisme
dans la Chine contemporaine,
suivi du texte en Chinois
Studies on Confucianism in Today’s China : Past, Present and Trends.
LI Zhonghua, Université nationale de Pékin, Beida

L’Institut de Philosophie et de culture confucéennes à l’Académie
des Études Extrême-orientales de l’Université Sungkyunkwan
The Institute of Confucius Philosophy and Culture Academy of East Asian Studies in Sungkyunkwan University
Rang-Ri Park-Barjot, Université Paris-Sorbonne

Chapitre 2 : Une religion pour les sociétés ?
A Religion for Social Structures

Lettre qui révèle et Lettre révélée.
La glose confucianiste aux antipodes de l’herméneutique biblique
Revealing Script vs Revealed Script (Confucianist vs Biblical Exegesis)
Léon Vandermeersch, EPHE

Un détournement social de la religion : le ritualisme confucéen
Social Diversion of Religion : The Confucian Ritualism
Léon Vandermeersch, EPHE

Confucius and Heaven : Preliminary Considerations for a Religious
Interpretation of the Lunyu.
Confucius et le Ciel : considérations préliminaires
pour une interprétation religieuse du Lunyu
June W. Seo, Université Sungkyunkwan

Dohak in Korean Confucianism
L’École du Dao (Dohak) dans le confucianisme coréen
Suk-won Oh, Université Sungkyunkwan

Chapitre 3 : Les pratiques religieuses dans la tradition
Religious Practices in the Tradition

L’évolution du shidian, le ‘culte’ de Confucius.
Shidian’s Evolution : Confucianist Rituals
Toshihiko Yazawa, University Saitama

Y a-t-il des livres saints dans le confucianisme ? »
Are there holy books in Confucianism ?
Ivan P. Kamenarović, Université Paris-Sorbonne

La Présentation de Confucius comme shengren ‘homme saint’
dans le Fayan de Yang Xiong ».
Confucius as a “saint” (shengren) in the Fayan of Yang Xiong (53 BC. –18AD.)
Béatrice L’Haridon, Doctorante Inalco

L’orthodoxie néo-confucéenne coréenne
de la première moitié de Choson (XIVe- XVIe siècles)
et les interrogations de type religieux : le cas de Yulgok, Yi I (1536-1584)
Korean Neo-Confucean Orthodoxy
in the first half of de Choson (XIVe-XVIe Centuries)
and Religious Interrogations : the Case of Yulgok, Yi I (1536-1584) ».
Isabelle Sancho, Doctorante Inalco

Confucius au cœur des polémiques sur la scène européenne
au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles .
Polemics on Confucius in Europe
round the XVIIth and XVIIIth Centuries
Isabelle Landry-Deron, EHESS

Chapitre 4 : Les chocs de la modernité
The Impact of Modernity

Les mutations de la religion confucianiste (1898-1937) ».
The Transformations of Confucian Religion, 1898 –1937.
Vincent Goossaert, CNRS-EPHE

Chen Huanzhang (1881-1933) et l’invention d’une religion
confucianiste au début de l’époque républicaine ».
Chen Huanzhang (1881-1933) and the Promotion of a Confucian Religion
at the beginning of the Republican Era.
Nicolas Zufferey, Faculté des Lettres de Genève

Chen Huanzhang et l’invention d’une pensée économique confucéenne
Chen Huanzhang : Expanding a Confucian Economic Thought
Thierry Pairault, CNRS, EHESS

L’Éthique confucéenne et l’esprit du capitalisme :
l’exemple des cadres et dirigeants d’entreprises en Corée du Sud
The Confucean Ethics and the Spirit of Capitalism :
the Example of the Enterprises Managers and Leaders in South Korea
Rang-Ri Park-Barjot, Université Paris-Sorbonne
Tae-Sik Rhee, Université Soongsil

Feng Youlan : confucianismes et représentations religieux
Feng Youlan : Confucianisms and Religious Representations
Michel Masson, SJ.

Chapitre 5 : Le Confucianisme post-moderne
Post-modern Confucianism

Le destin du ‘religieux’ dans la pensée néo-confucéenne contemporaine.
The Use of the Word ‘Religion’ in the New Contemporary Confucianism.
Joël Thoraval, EHESS

Conscience du souci et angoisse religieuse
dans le nouveau confucianisme contemporain .
The ‘Sense of Concern’ and religious Anxiety
in Contemporary Chinese Neo-Confucianism
Anne Cheng, Inalco IUF

L’image traditionnelle des enseignants
dans la société coréenne contemporaine.
The traditional Image of the Teachers
in the Korean contemporary Society
Jung-In Kim, Doctorant à l’Université Paris-Sorbonne

Qufu, ville natale de Confucius, un ‘espace sacré’ face aux défis de la modernité
Qufu. Confucius‘s birthplace: “Sacred Space” vs modernity
Roland Lin Chih-Hung, Université Paris-Sorbonne, Consultant UNESCO
Jocelyne Fresnais-Vaudelle, Université de Lyon 3
Sylvie Guichard-Anguis, CNRS

La civilisation post-moderne et la religiosité du confucianisme ».
The Post-modern Civilization and the Religiousity of Confucianism
Young-Jin Choi, Université Sungkyunkwan

Crise et pérennité du modèle confucéen en Corée du sud :
vers la fin de la toute-puissance de l’homme et du père.
Crisis and Durability of the Confucian Pattern in South Korea :
towards the end of Man’s and Father’s Almighty ?
Soo-Bok Cheong, The NGO Times

Glossaire
Bibliographie
Table des illustrations
Table des matières

 

La question de l’Art (introduction)

La question de l’Art en Asie orientale

Introduction
par Flora Blanchon

À quoi se fier quand on est en présence d’une peinture chinoise, d’un tableau japonais, d’une sculpture Pallava ? À nos sensations immédiates ? À l’écoute de ce que d’autres en disent ? À la lecture des cartels au bas des oeuvres ? À notre mémoire, en se disant qu’on aurait du réviser avant de venir ? Cheminant en zigzag dans cette cueillette hasardeuse, on tente d’élaborer notre propre discours que l’on teste – prudemment – sur qui vous accompagne dans l’exposition, le musée, le site etc. Avec un peu de chance, votre interlocuteur vous fera observer un détail passé inaperçu à vos yeux ou bien fera surgir une intention de l’artiste qui transformera votre perception de l’oeuvre. Mais invariablement surgira au début ou la fin de la conversation, le mot « beau » avec son long cortège de critères d’évaluation.
Qu’en est-il en Asie ?
Avec ce volume nous allons essayer de contribuer au décentrage nécessaire pour aborder la question de l’art en Asie. Ce sujet a déjà été traité dans une publication récente imaginée lors des débats sur l’opportunité de la création du Musée Branly qu’on appelait alors Musée des Arts Premiers : Yolaine Escande et Jean-Marie Schaeffer y ont réunis des textes particulièrement utiles pour tous ceux dont l’intuition dicte l’impérieuse nécessité de ce changement de point de vue et nous ne saurions trop en recommander la lecture.
François Cheng a, de son côté, consacré cinq méditations sur la question du beau en Chine et en Occident réunies en un volume où il s’attache à dévisager la question de la beauté « en tachant de ne pas oublier l’existence du mal ». Si je me permets de le citer dans cette introduction, c’est naturellement pour inviter le lecteur à s’y reporter 3, mais c’est aussi pour souligner avec lui l’importance de la posture d’accueil et non de conquête qui nous a guidée.
Avec bonheur, Marc-Mathieu Münch a employé le titre Pluriel du beau dans l’un de ses ouvrages et nous lui avons confié le soin en préface de donner une perspective personnelle sur la tentative de recherches des invariants, des « universaux » mieux rendue par la mise au point de l’« effet de vie ».
L’expression aurait bien convenu à notre projet. « Grammaire du beau » aurait été trop ambitieux et nous suggérons donc simplement les variations du paradigme en choisissant comme titre La Question de l’art en Asie pour ce volume élaboré à partir de discussions en Sorbonne et au sein du Centre de recherche sur l’Extrême-Orient de Paris-Sorbonne à partir de 2003.
L’ouvrage est divisé en trois parties.
La première rassemble les apports théoriques et examine en particulier les problèmes de traduction de ce qu’en Occident nous mettons dans le massif terminologique du « beau », des beaux-arts et plus globalement de l’esthétique.
Nous sommes bien conscients que le travail n’est pas fini quand nous réussissons à proposer la traduction d’un « mot » et que celle-ci est toujours porteuse de trahison comme le dit la sagesse populaire. Mais comment faire sans ce détour initial ?
François Chenet, après un rappel utile du cheminement de l’expérience esthétique en Occident de Platon à Schopenhauer, nous ouvre les portes de la compréhension du concept indien central de rasa que l’on peut traduire par saveur. On en dénombre huit auxquelles il faut en ajouter une neuvième, la saveur supra mondaine de l’Apaisé, saveur de la quiétude transcendantale qui joue un rôle considérable dans l’attitude artistique en plaçant cette dernière au seuil de la contemplation mystique. Il montre comment, dans le monde indien, l’expérience esthétique et l’expérience mystique sont jumelles, « co-utérines ». La première n’est qu’un reflet des potentiels de la seconde et entre les deux il y a plus une différence de degré que de nature. En écho, dans le domaine du texte et de la poésie, Irma Piovano montre comment le Kāmasūtra, texte aussi célèbre que mal compris, décrit l’acte sexuel comme un chef-d’oeuvre d’élégance et de beauté quand les conditions d’une union harmonieuse sont réunies. Le parallèle formel qu’elle établit avec l’Arthaśāstra, un traité politique de l’Inde ancienne, montre comment l’acte sexuel, considéré comme naturel, y est traité avec une objectivité scientifique, dégagée de toute évocation graveleuse. L’acte d’amour est associé à un rasa (sngara, rati) et reste lié à l’image de Śiva en union avec Śakti. À son tour, Édith Parlier-Renault passe de la poésie à la sculpture en faisant apparaître leur langage commun au travers de la statuaire Pallava. En parallèle à « l’expression courbe » de la poésie, analysée en différents niveaux d’expression (littéral, figuré, suggéré) et liée aussi à un rasa, elle pose la question d’un non-dit suggéré par la sculpture qui utiliserait, comme en poésie, la figure narrative du śleşa « double sens » qui permet de faire coexister deux significations dans une phrase ou un mot. L’observation fine de la sculpture inspirée du mythe de la descente du Gange permet de ressentir comment la création artistique s’apparente à la création divine, donnant ainsi une traduction concrète du cheminement spirituel décrit par François Chenet. Elle élargit en outre son analyse à la structure même des temples et à la disposition des programmes iconographiques. Rasa, kāma et śleşa sont les trois notions principales traitées dans ces chapitres et la grammaire esthétique indienne en est traversée en permanence.
Le monde sinisé n’a importé que très récemment les concepts du « beau » et de beaux-arts. Au Japon, ce n’est qu’en 1872 qu’a été forgé le mot bijutsu sur le modèle du français « beaux-arts » pour inciter les artistes et les artisans japonais à produire d’urgence des oeuvres que l’on destinait à représenter le Japon à l’Exposition universelle de Vienne de 1873.
Un regard attentif sur l’histoire de l’esthétique japonaise montre un
balancement régulier de la société entre deux options esthétiques qui sont d’une part la recherche de la sobriété, d’autre part l’attirance ou le goût du brillant.
Ces deux tendances alternent dans un mouvement de balancier, notamment sous l’effet du contact avec le comportement ou les préoccupations esthétiques venues de l’extérieur.
Les notions d’irrégularité, d’asymétrie sont extrêmement importantes dans l’évaluation des oeuvres, des choses où sont valorisées la dynamique, la fluidité et le mouvement. L’objet asymétrique ou irrégulier transpose la notion d’inachevé.Ce qui n’est pas complètement abouti est en train de se faire, reste en mouvement, est vivant et nous met devant une démarche à accomplir tenant ainsi notre attention en éveil. La sensibilité aux textures est également déterminante pour des objets qui ne sont pas uniquement à contempler mais aussi à toucher, voire à utiliser. En effet, l’utilitaire et l’esthétique sont étroitement associés dans toute la démarche classique des Japonais, tant dans l’art que dans l’architecture : Tokyo offre bien l’exemple dune ville où domine un ordre fonctionnel organique.
Les objets utilitaires par excellence ne sont pas moins considérés comme des oeuvres d’art et peuvent être exposés comme tels. Cette union entre utilitaire et esthétique, soulignée dans l’expression « beauté de l’utile » Yo no bi s’observe dans différents domaines. C’est cette expression qui a été reprise par une quantité d’artistes, d’artisans et même de stylistes japonais contemporains.
Le mot bijutsu 美術 (en chinois, meishu) a ensuite été adopté en Chinepuis a connu des transformations principalement sous l’effet des réactions nationalistes. Notamment au Japon, Okakura Tenshin, professeur à l’Université impériale de Tokyo, lui oppose en 1910 au cours d’une leçon inaugurale, un autre terme, kogei 工艺, production artisanale de tradition, sur le modèle d’un mot qui existait déjà mais de création récente, le mot bungei 文艺 signifiant « art littéraire ». Aujourd’hui, on entend par bijutsu la peinture, la sculpture l’architecte, l’artisanat et la photographie. Michael Lucken décrit cette évolution du statut des oeuvres d’art au travers des sociétés d’art et décrit au passage l’interaction entre la création et l’exposition. Le transfert progressif de l’intérêt pour un chef-d’oeuvre à l’intérêt pour l’ensemble de l’oeuvre d’un
artiste s’accompagne pendant l’ère Taisho d’une étonnante démarche mystique inspirée notamment par le christianisme russe.
L’idée même d’exposition est étrangère à la peinture traditionnelle chinoise,comme le dit si fortement Nicole Vandier-Nicolas, fondatrice de la chaire d’histoire de l’art de l’Extrême-Orient à l’Université Paris-Sorbonne, dans un entretien avec Souren Melikian. Avec un sens étonnant de la concision,elle balaye – comme le ferait un radar – deux mille ans de pratique de peinture lettrée chinoise en soulignant son lien permanent avec les courants métaphysiques. Ce statut particulier de la peinture chinoise, et au-delà des arts, est analysé dans leur rapport avec le confucianisme par Stephen G. Goldberg. On ne s’étonnera pas de l’importance que prend le dialogue entre l’auteur de l’oeuvre et celui qui la regarde : il indique, voire produit, les identités sociales respectives.


La deuxième partie est consacrée aux pratiques artistiques et se divise en deux ensembles. Le premier s’intéresse à la commande, la collection et la transmission des
« oeuvres ». Au travers de sept contributions, nous avons essayé de fournir un panorama large à la fois dans le temps et dans l’espace : des commandes inscrites dans les bronzes rituels de la Chine ancienne (Flora Blanchon), aux livres illustrés du Japon moderne (Christophe Marquet), en passant par le rôle des femmes au Tamil Nadu (Vincent Lefèvre), l’impact de la commande sur la pratique amateur en Chine (Muriel Peytavin), les débuts de la commercialisation des peintures à la fin des Ming (Ivan P. Kamenarović) et l’histoire d’un collectionneur chinois de la dynastie Qing (Éric Lefebvre). Dans ma contribution, j’ai voulu décrire la lente évolution des  inscriptions sur les pièces rituelles de bronze et montrer comment la charge rituelle confiée à l’inscription disparaît progressivement et n’est pratiquement plus lisible après la constitution de l’empire Han. L’inscription dans le bronze de ces textes atteste de la valeur de l’écrit et, comme le note Yolaine Escande, l’art de l’écriture devient pour les lettrés chinois la référence essentielle de leur art pictural . Il resterait à faire le lien avec les recherches de Redouane Djamouri sur les liens entre écriture et divination pour entrer en résonance avec les deux chapitres suivants consacrés à la calligraphie . Dans le monde indien, un autre aspect de la commande est abordé sous l’angle du rôle des femmes par Vincent Lefèvre qui montre comment la faible participation des femmes reflète les divisions sociales des tâches. Muriel Peytavin rappelle les limites dans lesquelles un lettré chinois est amené à produire une oeuvre autrement que pour lui-même et en quoi le thème, la composition, les matériaux utilisés, le style, etc. répondent à la demande et aux récipiendaires qui les détiennent. Son analyse est essentiellement fondée sur la période qui va des Yuan aux Ming. C’est la fin des Ming qu’Ivan P. Kamenarović nous invite à considérer avec les modifications en gestation dans le statut des lettrés et des « artistes » qui conduisent à la création d’un marché de l’art ou à tout le moins à la généralisation de pratiques commerciales. La volonté frénétique des premiers empereurs Qing de s’approprier la culture chinoise gonfle les commandes officielles et remplit les collections de la cour. Cependant, à la fin du xviiie siècle, les collections privées prennent le relais du rôle moteur joué par la cour. Éric Lefebvre décrit le parcours d’un haut fonctionnaire, Ruan Yuan (1796-1821), qui, à titre personnel et à sa manière, met en oeuvre des pratiques patrimoniales nouvelles (inventaire minutieux, souci de conservation, mesures de protection etc.). Enfin, Christophe Marquet traite aussi de la transmission, mais sous la forme de l’apprentissage. Il s’intéresse aux gafu d’abord conçus comme des livres d’études mais qui prendront des formes et des fonctions nouvelles, pour devenir de véritables supports de création. Cette évolution, qui dégagera ces livres de leur modèle chinois, en fera un véritable espace de liberté pour les artistes.
Le deuxième ensemble aborde directement le processus créatif et commence par l’art qui est le plus étrange aux yeux de l’amateur occidental : la calligraphie. Jean-Marie Simonet et Léon Vandermeersch entrent dans un dialogue, l’un avec un essai de définition du caractère chinois, le second avec l’exemple de la « cursive folle », fruit de la rencontre du taoïsme et du bouddhisme zen sous les Tang. La construction originelle du système chinois d’écriture fait toujours l’objet de débats sur la genèse divinatoire de l’idéographie chinoise. Le problème est central dans la perception de « l’altérité radicale » du monde sinisé et ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur la question de l’art en Chine.
C’est à une autre illustration de l’importance de la calligraphie que Laure Schwartz-Arenales nous invite en identifiant des caractères sur les décors d’une peinture japonaise de l’époque Heian. Le renouvellement du regard face à l’iconographie et la relecture d’un motif de ce nehan-zu la conduisent à réinterpréter l’inscription de l’oeuvre dans la problématique des espaces bouddhiques / espaces profanes et paysagers, oeuvres écrites ou peintes.
Un éclairage inhabituel sur la peinture chinoise est apporté par Uta Lauer qui choisit de s’intéresser à la feuille de bananier comme support de l’oeuvre peinte Son origine naturelle, non transformée, ne gêne pas un Huaisu dont le talent est mis en valeur par l’inadéquation et la pauvreté du support. Ce non-coût exaltera la vertu économe d’un empereur comme Qianlong des Qing.

La question de l’art nomade, qui se pose également dans l’art occidental, est abordée par Isabelle Charleux concernant l’art mongol. Les développements sur la Mongolie sont malheureusement trop rares en langue française. Le panorama complet dressé à la suite d’une thèse brillante de l’auteur contribue à combler cette lacune et positionne la problématique spécifique de l’art des steppes. À l’heure où les archéologues et les historiens remettent en question la thèse simplificatrice de la dépendance économique des nomades, réduits à l’alternative marchands/pillards (traiders/raiders), qu’en est-il dans le domaine artistique ?

La troisième partie est délibérément contemporaine. Intitulée « Coups et contre coups », nous avons choisi d’y exposer des itinéraires individuels d’artistes pris dans les tensions de la modernité ou des difficultés de positionnement national.
L’exposé de Yi Mijeong sur la problématique de l’approche de l’histoire de l’art en Corée au xxe siècle en est un exemple saisissant. Les itinéraires sont marqués par la violence de la colonisation ou les soubresauts qui ont marqué sa fin – au Vietnam avec Nadine André-Pallois – mais aussi par la découverte du voisin indien – avec Ker Yin sur le peintre birman Aung Soe – ou japonais – avec Marie Laureillard sur le peintre chinois Feng Zikai. Les persiflements pour provincialisme d’un peintre chinois « régional » sont décrits au travers de Ryckmans par Nicolas Idier. Ils conduiront l’artiste à la folie, triste illustration dans l’art du poids d’une pensée dominante. En contrepoint, Peng Changming termine cette partie en évoquant l’impact de la peinture chinoise sur trois peintres
occidentaux : Marc Tobey, André Masson et Henri Michaux en montrant ce
qu’il y a de commun et de différent dans leur approche de la peinture chinoise et les raisons qui peuvent expliquer les convergences ou divergences entre les deux traditions picturales.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir fourni toutes les clés de la compréhension de l’art en Asie orientale. Mais nous serons heureux si, au détour d’une phrase ou d’un chapitre, le lecteur ressent soit le plaisir de voir s’éclairer une zone jusqu’alors un peu sombre ou floue, soit, surtout, le besoin impérieux d’en savoir plus.
Flora Blanchon

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La question de l’art en Asie Orientale

 

La question de l’art en Asie Orientale
Flora Blanchon (dir.)
 
 

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Au XIXe siècle, la participation des artistes orientaux aux Salons européens a provoqué des interrogations sur le sens d’un terme comme « art » utilisé par les Occidentaux. Dans cette perspective, les Japonais – les premiers, à notre avis – ont tenté une adaptation et traduit littéralement par « beaux arts », en créant ainsi une nouvelle nomenclature que les langues asiatiques allaient naturellement intégrer dans leurs catégories classificatoires. Ce volume entend, en quelque sorte, inverser le débat pour essayer d’interroger la question de l’art en Asie. L’analyse des premiers traités d’esthétiques chinois et japonais, comme les traités indiens, religieux ou traditionnels, du Rigveda ou du Kamasūtra, permet d’identifier quelques clés théoriques et pratiques. En outre, une série de questions permet de repérer des permanences dans la perception de l’oeuvre d’art en Asie, dans les conditions de sa réalisation sur les feuilles de soie ou de papier soigneusement enroulées et préservées à l’abri des regards, dans sa destination et, au fil du temps, dans l’idée de collection et de commercialisation. De l’apprentissage par la copie des maîtres à l’état d’extase due à l’ivresse bachique, se dessine progressivement la figure de l’artiste qui peut être un peintre de commande ou un artisan de l’expression de la foi. Enfin, en ces temps dits de mondialisation, dévoiler les résonances entre les productions contemporaines, qu’elles soient orientales et occidentales, est un exercice délicat auquel ce volume se risque avec des peintres vietnamiens, birmans, coréens, mongols et, bien sûr, de Chine et du Japon afin de souligner les interférences et les correspondances avec des artistes tels que Mark Tobey, André Masson et Henri Michaux. Peu d’ouvrages ont abordé l’art asiatique avec ce souci d’en identifier l’enracinement profond et, en même temps, d’analyser des exemples concrets de ses manifestations.

TABLE DES MATIÈRES

Préface
Marc-Mathieu Münch, Département de littérature, Université de Metz..p 7

Introduction   Flora Blanchon.p. 13
Première partie : les concepts et les mots
– Du spirituel dans l’art selon les théories de l’expérience esthétique en Inde et en Occident./About the Relation Between Art and Spiritual Experience According to the Western and Indian Theories of the Æsthetic Experience. par François Chenet, Département de Philosophie, Université Paris-Sorbonne.p.23
– L’amour comme art : au-delà du Kāmasūtra/Love as Art, Beyond the Kāmasūtra par Irma Piovano, CESMEO , Turin. p.61
– L’art de la suggestion : sculpture et poésie en Inde/The Art of Suggestion : Sculpture and Poetry in India par Édith Parlier-Renault, Département d’Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne –CREOPS.p. 83
– La peinture chinoise : la collection John M. Crawford à Paris (janvier-février 1966):Chinese Paintings : John M. Crawford’s Collection in Paris (January and February 1966)  ré-éd.Nicole Vandier-Nicolas.p..115
– Art and the Authority of Excellence in Traditional China L’art et l’autorité de l’excellence dans la Chine traditionnelle par Stephen J . Goldberg, Associate Professor, Department of Art History, Hamilton College.p. 123
– L’évolution du statut de l’oeuvre d’art au début du xxe siècle au Japon à travers les expositions et les sociétés d’art/The Evolution of the Status of Works of Art in early 20th Century Japan seen through the Exhibitions and Art Societies par Michael Lucken, Département Langue et civilisation du Japon, Institut national des langues et civilisations orientales.p. 133

Deuxième partie : les pratiques
– La commande royale et nobiliaire dans la Chine ancienne au travers des inscriptions / Royal and Noble Patronage in Early China According to Inscriptions par Flora Blanchon, Département d’Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne – CREOPS. p.153
– Les femmes et la commande artistique au Tamil Nadu/Women and Patronage in Tamil Nadu par Vincent Lefèvre, conservateur, Musée des Arts asiatiques-Musée Guimet.p.171
– L’impact de la commande sur la pratique amateur dans la peinture chinoise/ Patronage and its Impact on the Practice of the Scholar Amateur Artist in Chinese Painting par Muriel Peytavin-Nicolas, Département d’Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne CREOPS p. 183
– Peinture lettrée et commercialisation: le tournant de la fin des Ming/
The Painting of Literati and Commercialisation : the Twist at the End of the Ming Dynasty par Ivan P. Kamenarović, Département d’Histoire de l’art, Université P aris-Sorbonne CREOPS..p 209
– Collectionner pour transmettre : Ruan Yuan (1764-1849)/Collecting for Posterity : Ruan Yuan (1764-1849) par Éric Lefebvre, conservateur, Musée Cernuschi, Paris.p. 215
– Le rôle des « livres de peinture » (gafu) dans la transmission du savoir artistique au Japon à l’époque d’Edo/The Role of Painting Handbooks (gafu) in the Transmission of Artistic Tradition in Edo Period Japan par Christophe Marquet, Institut national des langues et civilisations orientales –École française d’Extrême-Orient.p.223
– A Portrait of the Artist as a Poor Man -The Significance of Writing on a Banana Leaf/Portrait de l’artiste en pauvre homme : la signification de l’écriture sur feuille de bananier par Uta Lauer, Département d’Histoire de l’art, Université de Stockholm..p251
– Le bois sacré du nirvâna. Essai d’interprétation d’un chef-d’oeuvre de la peinture japonaise de l’époque de Heian/The Sacred Wood of nirvâna. A New Reading of a Masterpiece of the Heian Period par Laure Schwartz-Arenales, Université Nationale d’Ochanomizu (Tokyo) –Musée National de Kyoto.p.265
– Libres propos sur l’écriture chinoise : le « concept concret »/Musings upon Chinese writing : the « Concrete Concept »par Jean-Marie Simonet, Institut des Hautes Études chinoises, Bruxelles.p. 285
– L’écriture folle : facette chinoise de l’extase lettrée/The Wild Cursive Script : the Chinese Literati’s Path to Ecstasy par Léon Vandermeersch, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études, Membre Correspondant de l’Institut.p.293
– Peut-on parler d’art mongol ? Icônes et monastères de Mongolie du xvie au début du xxe siècle /May we Speak of Mongol Art ? Mongol Images and Monasteries from the 16th to the Early 20th Century par Isabelle Charleux, CNR S..p 303

Troisi ème partie : Coups et contrecoups
– L’histoire de l’art en Corée au xxe siècle. Problématique et complexité de l’étude Korean History of Art in the 20th Century: the Complex Problematics of the Study par Yi Mijeong, Séoul, diplômée de l’Institut National du Patrimoine, P aris.p.333
– Le renouveau de la peinture à la laque au Vietnam : l’impact de la colonisation./Lacquer Painting Revival in Vietnam : the Role of Colonisation par Nadine André-Pallois, Département Asie du Sud-est, Institut des Langues et Civilisations Orientales..p.345
– Un peintre chinois provincial et marginal vu par Pierre Ryckmans/A Marginal Chinese Provincial Painter in Focus – Seen by Pierre Ryckmans
par Nicolas Idier, Département d’Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne – CREOPS.p 357
– Touches japonaises sous le pinceau de Feng Zikai (1898-1975), artiste chinois/The Japanese Touch under the Brush of Feng Zikai (1898-1975), a Chinese Artist par Marie Laureillard, Département d’Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne – CREOPS.369
– « L’art fou », ou l’art moderne birman selon les illustrations de Bagyi Aung Soe(1924‑1990)/« Mad Art », or Modern Burmese Art According to the Illustrations of Bagyi Aung Soe(1924-1990). par Yin Ker, Département d’Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne. p 387
– Impact de la peinture chinoise sur la peinture occidentale contemporaine : trois exemples marquants (Mark Tobey, André Masson, Henri Michaux)/The Impact of Chinese Painting on Western Painters of the 20th Century: Three Significant Examples (Mark Tobey, André Masson, Henri Michaux) par Chang Ming Peng, Département d’Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne  CREOPS.p.405

 

Rêve de Jade préface

Rêve de Jade

Préface
par Flora Blanchon
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 » Dans la tête de l’artiste , d’abord il y a 2 façons de décrire un arbre :
1- par le dessin d’imitation comme on l’apprend dans les écoles de dessin européennes
2- par le sentiment que son approche et sa contemplation vous suggèrent comme les Orientaux .« 
Henri Matisse, La naissance de l’arbre, juin 1943.

Dessiner l’arbre, c’est le raconter, c’est le sauver : mais combien de façons de le raconter ? Les artistes, d’ici et là-bas, possèdent en partage la nature et en héritage les mythes, les récits et l’histoire et donnent à voir comment ils inventent le paysage.

Pour toute la tradition occidentale, de la genèse au siècle des lumières, la nature est à la disposition de l’homme : il doit la maîtriser et se l’approprier. Elle n’est que peu présente en tant que telle dans l’iconographie classique. Au mieux elle sert de fond, pour donner une note d’ambiance comme on dirait aujourd’hui. Diderot dans un souci de rationalité propose d’en diviser la représentation en deux caté-gories : « l’héroïque et la champêtre (ou pastorale) ». Le style héroïque, de mémoire, comprend tout ce que l’art et la nature présentent aux yeux de plus grand et de plus majestueux. Les peintres y admettent des temples, des sépultures antiques, des maisons de plaisance d’une architecture superbe, etc. Au contraire, le style champêtre représente une nature toute simple, sans artifices, dans « une négligence qui lui sied souvent mieux que les embellissements de l’art ». La première forme d’appropriation est pour ses constructions et ses « machines » spectaculaires, la seconde pour ses ébats et ses rêveries avec les bergers et les troupeaux.

En Chine, l’art du paysage s’est développé à partir du troisième siècle. Epoque sombre de son histoire, comme le note Nicole Nicolas-Vandier , qui voit l’affaissement progressif de quatre siècles d’ordre confucéen, et la première fragmentation de l’empire sous l’effet de la poussée des barbares du nord. Le courant taoïste, qui s’était déjà manifesté lors de la révolte des Turbans jaunes, déborde les élites et, sans rejeter totalement Confucius, met l’accent sur la recherche métaphysique, favorisant la spontanéité, la vision intérieure et l’intuition.
Paul Demiéville montre bien comment la montagne (shan) devient alors le lieu privilégié pour l’expression des émotions philosophiques et esthétiques. Elle permet de s’évader d’un monde troublé où l’idéal confucianiste n’est plus réalisable. Le caractère xian « immortel » est formé d’un homme à gauche l’homme et de la montagne à droite. Le vent, assimilé au Souffle, est promu au rang de médiateur et sert à illustrer les rapports philosophiques entre l’homme (le monde humain), la terre (le monde de la nature) et le ciel (le monde du Tao). L’eau (shui) reste associée à l’idée d’intelligence, de mobilité, de culture. On lit déjà dans Les Entretiens de Confucius (Lunyu, VI, 21) : « L’intelligence prend plaisir à l’eau, mais la bienfaisance à la montagne ; car l’intelligence est mobile, mais la bienfaisance est calme. L’intelligence fait vivre content ; la bienfaisance fait vivre longtemps. » Les deux éléments sont en tout état de cause complémentaires et indissociables.

Shanshui (mot à mot montagne-eau) commence à être employé au sens technique de « paysage » pendant la période des Six dynasties ( IVe-VIe siècles ) L’apparition de ce terme est contemporaine d’une approche nouvelle qui consiste à trouver la montagne belle en soi et non plus seulement comme lieu inquiétant où vivent les bêtes sauvages, lieu de culte, ou plus prosaïquement simple réservoir à bois de construction ou mines de sel. L’émergence du concept de beau apparaît de son côté dans un poème de Yuan Shansong (401) : « .. faire l’éloge de la beauté du paysage… plus je me familiarisais avec ce paysage, plus je le trouvais beau. » Le poète Xie Lingyun (385-433), en voyage sur une montagne du Zhejiang, ajoute au sentiment du beau, la recherche de la communion avec le cosmos, avec la nature : « C’est pour mieux observer sans relâche la Voie… [être] en paix dans l’ordre naturel des choses…. »

Dans le domaine minéral, le jade (yu) est depuis le néolithique, à la fois matériau, objet et image de l’Univers. Aux yeux des lettrés, il entretient une relation particulière avec la notion de paysage. À la fois Lieu-Saint, Ciel, Terre et Univers, il évoque les correspondances entre le microcosme et le macrocosme et procède de tous les domaines de la civilisation chinoise, de l’art, de la philosophie et des spéculations religieuses. Comme il est écrit dans les Mémoires sur les Rites, Liji : « Le jade est comme un symbole de vertu pour l’homme parfait ». En projetant sur le jade autant de valeurs, les lettrés lui confèrent une place unique dans le monde chinois.

Le modèle initial des paysages en jade apparaît pendant la dynastie des Song (960-1276). Le milieu des lettrés est désormais régi par des règles précises et péremptoires, qu’il s’agisse de l’installation de leur « ermitage », de leur cabinet de travail, de leur bibliothèque, ou du choix des peintures et des « outils » indispensables à l’activité artistique ou littéraire (encre, pinceaux, brûle-parfum…), ou encore de l’aménagement des jardins. On trouve des paysages gravés sur les paravents en jade mais ils sont alors considérés comme de simples objets décoratifs et n’apparaissent pas encore comme indispensables à l’environnement immédiat du lettré. Les jades-paysagers sont encore peu répandus et sont aussi appréciés en raison de leur rareté et de leur coût.
Les lettrés de la dynastie Qing (1644-1911) s’intéressent à la capacité du jade à représenter la nature à la manière des peintures de paysages sur la soie ou le papier. La production des jades-paysagers et les jades-montagnes (yushan) se développe pendant le règne de Qianlong. L’engouement des lettrés est immédiat. Pour eux, les jades-paysagers l’emportent rapidement sur toutes les autres modèles. Ils deviennent un élément essentiel de l’activité intellectuelle et artistique, gagnant peu à peu les autres couches de la société, principalement à partir de 1760, après l’annexion du Xinjiang qui amène une quantité suffisante de pierre sur le marché. Les recherches sur le jade atteignent leur apogée. S’instaure alors une véritable « culture du jade », partagée par trois principaux groupes sociaux avec toutefois des écarts sensibles de perception. Le plus significatif et le plus visible, est représenté par l’empereur Qianlong, les grands collectionneurs, et dans une moindre mesure, les riches commerçants. Le deuxième groupe comprend les fabricants de pièces de jade répartis dans les lieux de production historiques – Pékin, Suzhou et Yangzhou -, et dans la province du Xinjiang. Plus difficile à cerner, le troisième et dernier groupe est constitué par les lettrés, notamment ceux de Suzhou et de Yangzhou qui essaient de donner un sens aux jades-paysagers en les rapprochant de leurs recherches sur l’esthétique des jardins et du paysage.
À chacun des groupes correspond naturellement une approche spécifique du jade, mais ce sont les appréciations des lettrés qui créent les conditions de l’intention de la représentation paysagère et nous invitent ensuite à la déchiffrer par le prisme des symboles, et également de façon intuitive. L’évolution de la conception paysagère se construit principalement à partir des œuvres littéraires inspirées par les jades-montagnes. La glose concerne le jeu des transformations et des co-résonances, la variation des thèmes, et l’analyse des relations entre la forme et le contenu, le signifiant et le signifié. Le contenu peut s’exprimer dans des formes qui varient comme les éléments constitutifs d’un langage, selon les moments et les milieux.

Cet essai de Roland Lin Chih-Hung me paraît caractéristique d’une démarche qui consiste à s’appuyer sur des dénominations déjà attestées dans la littérature chinoise, pour identifier les ajustements possibles avec les concepts proposés par Augustin Berque et la nouvelle école paysagère. Ces derniers ne sont pas d’un maniement très aisés et l’auteur n’en a plus que de mérite. Roland Lin Chih-Hung nous permet en outre, et ce n’est pas le moindre de son intérêt, de voir au travers de son regard, les plus belles pièces de la collection de jades de Yeh Bor-wen, elle-même magnifique témoignage de la puissance et de la richesse de la Chine pendant l’ère Qianlong.

Flora Blanchon

Histoire d’enfants exposés

 

Histoire d’enfants exposés
Jeannine KOUBI
 
 

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Anthologie de mythes et de contes sur le thème de l’enfant dans l’univers des Toradja de Sulawesi, une population de tradition orale.

Cette anthologie sur le thème de l’enfant exposé convie à un périple dans l’univers des Toradja de Sulawesi. Avec une patience infinie Jeannine Koubi a réussi à mettre en écriture les histoires que les conteurs Toradja racontent lors de veillées souvent très longues. Le lecteur est mis dans la situation de ceux qui les écoutent et partage leurs émotions, leurs angoisses et leur soulagement quand l’issue est enfin heureuse.
Au fil des récits, le lecteur découvrira que l’enfant est bel et bien en danger de mort, qu’il est cru mort : en témoignent la souffrance de la mère, certains rites de deuil, et l’incrédulité des parents à l’annonce qu’il est toujours vivant.

A quel moment a lieu cette exposition ? Quelles sont les raisons invoquées ? Un descendant, considéré comme “un bienfait”, peut-il être l’instigateur d’un drame ? Quelles représentations sont attachées à la forêt dense, destination principale des enfants voués à la mort ? Comment interpréter cette exposition enfantine ? L’épilogue de ces récits d’anciens répond en partie à ces questions et pose les jalons d’une étude comparative.
Jeannine Koubi, ethnologue, est chargée de recherche au CNRS et membre du Laboratoire Asie du Sud-Est et Monde Austronésien. Elle se consacre à l’étude des Toradja depuis 1970. On lui doit un livre sur le culte des morts et une vingtaine d’articles les concernant. Elle a en outre co-édité un ouvrage collectif sur l’enfant en Asie du Sud-Est.

Table des matières :

 

Préface par Geneviève Calame-Griaule

Prélude

Introduction

Du contexte historique et ethnographique
Du contexte littéraire

I. L’enfant qui devait mourir : Datu Ruang

II. La petite fille enceinte : To kewa’ta’-wa’ta’

III. Le garçon qui n’a pas connu son père : Panggalo’-galo’

IV. La fille à la dentition singulière : Sangbidang

V. L’enfant à la paume velue : Bulu Pala’

VI. La fille qui crachait de l’or : Timbura’ Bulawan

VII. Les enfants au gilet de fibres : Babu’ Solong

VIII. La fille qui adorait tisser : Tuladidi’/Tulangdidi’

IX. Les benjamins : Labokko’/Labongkona

X. Les orphelins : Anak biung/Labiu’-biu’

Épilogue

Annexe : Textes en toraja

Glossaire

Bibliographie

Index analytique

Index des noms de personnages mythiques ou légendaires

Table des illustrations

 

Art indien Introduction générale

Introduction générale

Par Edith Parlier-Renault


Aujourd’hui encore l’image est omniprésente dans le monde indien. Son apparition y est pourtant plus tardive que dans d’autres civilisations, même s’il faut prendre en compte la disparition éventuelle de témoignages plus anciens que les premières oeuvres connues, datées des débuts du IIIe siècle av. J. C. Pendant toute la période védique (vers 1500 av.J. C.-500 av.J. C.env.) l’Inde semble se passer d’images. Les débuts du bouddhisme (vers 500 av. J. C.-vers 300 av. J. C.) révèlent la même réticence à l’égard des représentations. Dans le premier art bouddhique (IIe-Ie siècle av. J. C.) le Buddha n’est encore évoqué qu’à travers des symboles. C’est d’abord par le biais d’effigies liées à des cultes locaux de la fécondité sur lesquels les textes restent extrêmement elliptiques que la figure humaine s’est peu à peu imposée dans l’art.
L’évolution qui s’amorce à cet égard au commencement de notre ère n’en est que plus frappante. Elle touche à peu près au même moment, entre le Ie et le IIIe siècle, les trois grandes religions nées en Inde, bouddhisme, hindouisme, jaïnisme, sans doute sous l’effet du courant dévotionnel qui imprègne à des degrés variables tous les milieux religieux. A partir de cette époque se fait sentir la nécessité d’incarner sous une forme tangible le Buddha, le Jina ou les dieux hindous. Cette affirmation de la dimension incarnée, « manifestée », inséparable du caractère transcendant des « Grands êtres » ou des dieux va permettre à l’art indien de donner libre cours à toutes ses possibilités expressives.
Les effigies bouddhiques ou jaïnes mettent au premier plan la figure du Maître spirituel (le Buddha ou le Jina), issue à la fois de l’histoire et de la légende ; les images hindoues cherchent à traduire le déploiement simultané des virtualités et des pouvoirs divins, par la multiplication des bras, des attributs, parfois des visages. Les dieux assument les rôles les plus divers, apparaissant tour à tour sous les traits de l’ascète ou du séducteur, de l’enfant ou du roi, du guerrier ou de l’épouse. A travers la variété de leurs aspects ce sont tous les domaines de l’existence qu’évoquent la sculpture et la peinture, c’est aussi tout le champ des émotions (rasa) qui s’ouvre à l’art. La théorie indienne des rasa qui place l’émotion au coeur de l’expérience esthétique et se propose d’en définir toutes les formes s’applique autant à la sculpture et à la peinture qu’aux autres domaines d’expression artistique liés à l’hindouisme (théâtre, poésie, musique…).
Même la civilisation islamique semble s’être laissée insensiblement imprégner par la perspective indienne: la peinture moghole fait une large place à la figure humaine, qu’elle aborde dans certaines oeuvres avec une subtilité et une vérité psychologiques qui renouvellent l’art de la miniature.
La prépondérance du bouddhisme jusqu’au Ve siècle va de pair avec l’essor de l’art narratif. A Sânchî, sur les stûpa du Gandhâra ou de l’Ândhra Pradesh, dans les grottes d’Ajantâ, la succession des scènes restitue dans sa dimension temporelle la vie historique du Buddha ainsi que ses existences antérieures (jâtaka) : autant qu’au Buddha lui-même, ces oeuvres font place à la communauté des fidèles, hommes et dieux confondus. Si elles retracent les étapes d’une carrière érigée en modèle, elles renvoient aussi le reflet d’une réalité souvent étonnamment familière, à peine transfigurée par la légende. Dès le VIIIe siècle, en partie sous l’influence de l’hindouisme, l’art bouddhique se détourne des cycles narratifs pour s’attacher de plus en plus au monde des représentations mythiques. Le Buddha n’apparaît presque plus désormais que dans sa dimension intemporelle, à travers l’image de culte, englobée dans le panthéon des Bouddhas et des Bodhisattvas cosmiques.
La progression de l’hindouisme à partir du Ve siècle stimule cet essor de l’imaginaire. L’art hindou illustre les grands mythes fixés vers le début de notre ère. Il leur doit son unité, par-delà les divisions régionales et la multiplicité des écoles, comme en témoigne la diffusion des formes de la divinité (mûrti) dans l’ensemble du sous-continent. Des contreforts de l’Himâlaya jusqu’à l’extrême-sud, le mariage ou l’ascèse de Çiva, les avatars de Visnu inspirent l’ensemble de la sculpture et de la peinture hindoue. La cohérence des structures mythiques n’implique pas la fixité: l’histoire de l’art hindou et bouddhique témoigne des modifications qui ont pu affecter insensiblement au cours du temps la conception du Buddha ou de la divinité.
Ouverte à la diversité des interprétations et des sensibilités, l’iconographie admet les innovations ou les créations locales, tel le Çiva enseignant du sud (Daksinâmûrti) apparu au Tamil Nâdu ou le Visnu Vaikuntha de l’Inde du nord. Mais c’est avant tout à travers le choix opéré dans le cadre du temple au sein du panthéon que se dessinent les courants régionaux. L’image donne en effet son sens au sanctuaire. Pendant une longue période, les représentations restent pourtant très discrètes. Les stûpa de Bhârhut et de Sânchî sont des dômes nus, la sculpture s’arrête aux portes de la balustrade qui les protège. Les monuments rupestres bouddhiques excavés entre le IIe siècle av. J. C. et le Ie siècle ap. J. C. sont essentiellement des lieux de résidence destinés aux moines. Le décor, généralement sobre, franchit rarement le seuil de l’entrée. Dès le IIe siècle et surtout à partir du Ve siècle, la vocation première maintenant reconnue à l’architecture religieuse-accueillir le dieu, le Buddha ou le Jina à travers son effigie- détermine une nouvelle conception du monument. La salle de monastère est centrée sur la cella contenant la figure du Buddha. De la simple hutte d’habitation, prototype des premiers édifices gupta ou pallava, aux gigantesques temples-cités du Tamil Nâdu, l’évolution du temple hindou répond à une réflexion de plus en plus approfondie sur la fonction principale du sanctuaire, qui est d’être la « maison du dieu », et, par extension, le cosmos où se manifeste sa présence.
Il faut attendre le début des invasions musulmanes pour assister à l’essor d’une architecture désormais totalement dégagée de l’image. Les réalisations de la période indo-musulmane ouvrent en ce sens à l’architecture indienne un champ entièrement nouveau.

Il est difficile de circonscrire la diffusion du modèle artistique indien : si l’on prend en compte la propagation du bouddhisme, ce modèle a imprégné l’ensemble de l’Asie orientale et son influence s’est étendue jusqu’à la Chine et au Japon, par delà les pays himâlayens. Nous avons laissé de côté dans le présent ouvrage tout ce qui relève plus particulièrement de l’expansion du bouddhisme vers l’Extrême-Orient, et nous sommes limités, pour la zone himâlayenne, au Népal, où l’indianisation ne se confond pas avec l’adoption du bouddhisme. En revanche d’autres pays himâlayens, tels le Bhoutan et le Sikkim, n’ont pas été évoqués, en premier lieu parce que leur art est encore mal connu et peu documenté, en second lieu parce qu’il est plus lié au monde tibétain qu’à l’Inde proprement dite.
C’est donc à travers l’art du Népal, de Sri Lanka et de l’Asie du Sud-Est que l’on pourra mesurer ici le rôle joué par l’art de l’Inde hors de ses frontières. S’il est indéniable que son influence a déterminé l’apparition des premières œuvres, il faut aussi observer d’emblée que l’art de ces régions n’a pu se développer que dans la mesure où il s’est aussi libéré du modèle indien pour trouver son génie propre. Ce double mouvement d’absorption et d’émancipation lui a permis parfois de poursuivre ses expérimentations plus loin qu’elles n’avaient jamais été menées à l’intérieur même de l’Inde : on a souvent dit que les plus grandes créations de l’art indien se situent en Asie du Sud-Est, et il est vrai qu’aucun site de l’Inde ne peut sans doute rivaliser avec Pagan, Angkor ou Borobudur.
C’est à Sri Lanka que nous trouvons les traces les plus anciennes de l’indianisation, puisque deux stûpa remonteraient à l’époque d’Açoka et de la première mission bouddhique.
Il n’est pas exclu que dès cette époque des contacts aient été aussi noués entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est. Néanmoins on s’accorde généralement pour fixer les débuts de l’indianisation aux environs de notre ère. Elle se fait de façon toute pacifique, et suit l’expansion du commerce maritime. Missionnaires bouddhiques et brahmanes hindous arrivent sans doute dans le sillage des marchands indiens. Comme en Inde, le bouddhisme est d’abord dominant, il est surtout représenté alors sous sa forme Theravâda (la « doctrine ancienne » par opposition aux courants nouveaux qui donnent naissance au Mahâyâna , ou « Grand Véhicule »). Il se diffuse à partir de l’un de ses centres les plus importants au IIe siècle, la région d’Amarâvatî, sur la côte sud-est de l’Inde: en témoigne en particulier le Buddha du style d’Amarâvatî retrouvé aux Célèbes (Indonésie). Entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est, Sri Lanka fait d’ailleurs office de relais.
Le bouddhisme s’implante progressivement en Birmanie, dans la péninsule malaise, en Indonésie, ainsi que dans le sud du Cambodge, de la Thaïlande, du Viêtnam (Champa). A l’exception de la Birmanie et de la Thaïlande, toutes ces régions voient aussi s’affirmer parallèlement le brahmanisme. C’est cette religion que les élites dirigeantes adoptent à Java, au Cambodge, au Champa. La tradition locale fait parfois remonter les lignées royales au mariage entre une princesse autochtone et un brahmane indien : ainsi dans la légende que rapporte les sources chinoises sur la fondation du royaume cambodgien du Founan (début de notre ère- milieu du VIe siècle).
Le brahmanisme, puis le bouddhisme du Grand Véhicule (Mahâyâna) apportent en effet aux dynasties règnantes le soutien d’une idéologie fortement structurée, fondée sur une symbolique et une cosmologie qui donneront toute leur mesure dans les ambitieuses fondations d’Angkor, de Java, du Champa. Les souverains khmers adhèrent au çivaïsme et inaugurent la construction des temples-montagnes. Leur plan rigoureusement réfléchi, comme la majestueuse ordonnance des sanctuaires érigées par les dynasties de Java, sont à l’image du cosmos, confondu avec le royaume dont le souverain assure la protection et la prospérité. Le Mahâyâna inspirera les plus complexes de ces monuments, le Bayon d’Angkor et le Borobudur de Java, où il s’illustre sous sa forme tantrique (Vajrayâna).

A partir du XIIIe siècle, le Mahâyâna et l’hindouisme déclinent dans toute l’Asie du Sud-Est, cèdant progressivement le pas au bouddhisme Theravâda, dont l’essor coïncide avec celui de l’art thaï : la Thaïlande voit alors se développer des styles originaux et des formes iconographiques qui se retrouvent dès cette époque dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est.
Pendant toute son histoire, mais surtout, bien sûr, à ces débuts, l’art de l’Asie du Sud-Est renvoie l’écho des influences indiennes. Au Cambodge et à Java les premières réalisations de l’architecture et de la statuaire hindoues révèlent une affinité avec le style pallava de l’Inde du Sud, tandis que la marque du modèle gupta est surtout perceptible dans les représentations bouddhiques. L’influence pâla (Inde orientale) se manifeste dans la sculpture de Java, mais aussi, plus tard, dans l’iconographie du bouddhisme Theravâda : le Bouddha paré, le Bouddha Mâravijaya (« vainqueur de Mâra »).
Nous avons choisi de présenter l’art de l’Asie du Sud-Est dans le cadre des états nationaux qui se sont constitués à une époque récente. Si ce cadre ne coïncide pas toujours avec l’histoire de l’art, il conditionne toutefois aujourd’hui notre approche de ces différentes cultures, qui ont toujours entretenu des liens réciproques.

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L’Art Indien par Edith PARLIER-RENAULT

 

L’Art Indien
Edith PARLIER RENAULT (dir)
 
 

 

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Très riches et très diverses, l’architecture, la sculpture et la peinture de l’Asie du Sud et du Sud-Est offrent aussi une indéniable unité : ils véhiculent les valeurs et les significations liées au bouddhisme et au brahmanisme, nés tous deux en Inde. Cette présentation de l’art indien destinée aux étudiants et au grand public est divisée en deux grandes parties, la première consacrée à l’Inde, à Sri Lanka et au Népal, la seconde à l’Asie du Sud-Est, où les thèmes et les formes élaborées en Inde ont donné lieu à partir du 6ème siècle environ à des développements spécifiques. Le livre suit une progression chronologique, depuis les premières œuvres d’art apparues dans les sites de l’Indus (2300-1750 env. av. J.-C.), jusqu’à la période contemporaine. Il retrace les grandes étapes de l’histoire de l’art en Asie du Sud et du Sud-Est. Accompagné de nombreuses illustrations, d’un index et d’un glossaire, il permet au lecteur de s’initier à l’une des grandes civilisations du monde, encore vivante aujourd’hui.

 

Table des matières :

chapitre I. Des origines à l’époque kushâna
1. La civilisation de l’Indus
2. La période védique et la naissance du bouddhisme
3. Les Çunga : l’art de Bhârhut (iie-ier siècLes av. J.-C.)
4. La sculpture de Sânchî, les débuts de l’art rupestre
5. Amarâvatî
6. L’empire kushâna : Le Gandhâra
7. L’art du Gandhâra
8. Mathura
chapitre II. L’art gupta et ses prolongements en Inde du Nord (ve-viie siècle)
1. La période gupta (v. 320-v. 550)
2. Les débuts de l’art hindou : des kushâna aux gupta
3. Les premiers temples hindous
4. L’Inde centrale et occidentale du vie au viie siècle
5. L’Inde orientale au viie siècle
chapitre III. Le Deccan (ve-viiie siècle env.)
1. Introduction
2. Sanctuaires rupestres hindous
3. L’art rupestre bouddhique
4. temples construits châlukya
chapitre IV. L’Inde du Nord (viiie-xiie siècle)
1. Introduction
2. L’architecture de l’Inde centrale et occidentale (viiie-ixe siècles)
3. temples de l’Inde centrale et occidentale (xe-xiie siècles)
4. La sculpture de l’Inde du Nord (ixe-xiie siècles)
5. L’art de l’Orissa
6. L’art pâla (viiie-xiie siècles)
7. L’art du Cachemire
8. L’art jaïn
chapitre V. L’Inde du Sud (viie-xiie siècle)
1. Introduction
2. La sculpture pallava
3. L’architecture chola (ixe-xiiie siècles)
4. La sculpture chola
chapitre VI. L’Inde du Sud et le Deccan (xiie-xviie siècle)
1. Des châlukya de Kalyani aux nâyaka
2. L’art hoysala (v. 1050-v. 1220)
3. L’art de Vijayanagar et des nâyaka
4. Le Kerala
chapitre VII. L’architecture indo-musulmane
1. Le sultanat de Delhi
2. Les sultanats provinciaux
3. L’architecture moghole : de Bâbur à Akbar (1526-1605)
4. L’architecture moghole sous Jahângîr et Shâh Jahân (1605-1658)
5. L’architecture râjpoute
chapitre VII. La peinture indienne
1. Les peintures bouddhiques des cavernes d’Ajantâ et de Bâgh
2. Les peintures jaïnes et hindoues à l’époque médiévale
3. La peinture murale du xvie au xviiie siècle
4. Les écoles prémogholes
5. La peinture moghole (1)
6. La peinture moghole (2)
7. La peinture deccanî
8. Les écoles râjpoutes
chapitre IX. Le Sri Lanka
1. Introduction
2. La sculpture et la peinture (iie siècle av. J.-C.-ixe siècle apr. J.-C.)
3. La période de polonnaruwa (993-1235)
4. La période des capitales éphémères (xiiie-xviie siècles)
5. La « renaissance » bouddhique (xviiie-xixe siècles)
chapitre X. Le Népal
1. Introduction
2. La statuaire (viie-xviiie siècle)
3. L’architecture neware
4. La peinture neware
seconde partie
L’ASIE Du SUD-EST
chapitre XI. La Birmanie
1. Les premiers siècles et les cités pyu
2. Pagan et la naissance de l’art birman
3. trois siècles d’innovation architecturale
4. un exceptionnel corpus de peintures murales
5. La sculpture à Pagan
6. De L’Arakan au pays Môn
7. Les dernières capitales birmanes
chapitre XII. Le Laos
1. Histoire
2. L’architecture
3. La sculpture, la peinture et les arts décoratifs
chapitre XIII. La Thaïlande et la Malaisie
1. Introduction
2. L’art de Dvâravatî
3. L’art de Çrîvijaya
4. L’art de Lopburî
5. L’art de Sukhothaï
6. L’art du Lân Nâ
7. L’art d’Ayuthayâ (xive-xviiie siècles)
8. L’art de Bangkok ou de Ratanakosin (fin du xviiie-début du xxe siècle)
chapitre XIV. Le Cambodge

1. L’art préangkorien
2 Naissance et développement de l’art angkorien (ixe-xe siècles)
3 L’architecture angkorienne du xie au xiiie siècle
4. La sculpture angkorienne
5. L’art post-angkorien
chapitre XV. L’Indonésie
1. Des débuts de l’indianisation au règne des Çailendra
2. L’art de Java central (vers 750 – ap. 900) :
les ensembles de Dieng et de Borobudur
3. L’art de Java central : les temples de Prambanan
4. L’art de Java oriental
5. L’art de Bali, La sculpture de Java oriental
chapitre XVI. Le Champa
1. Des débuts de l’indianisation à la fin du viiie siècle
2 La fondation d’Indrapura et l’art de Dông Duong
(troisième quart du ixe siècle-début du xe siècle)
3. Le xe siècle : L’âge d’or du Champa
4. La période de Vijaya
5. De l’occupation khmère à l’ultime décadence

Transversales
Le Stûpa
Les vies antérieures du Buddha en Inde
Les épopées en Inde
Les divinités gardiennes
L’érotisme en Inde
Les divinités brahmaniques en Inde
La royauté
L’architecture coloniale en Inde
Les textiles de l’Inde
L’art contemporain en Inde
Les divinités farouches
Les vies antérieures du Buddha dans la péninsule indochinoise
Les épopées dans l’art du Cambodge et de la Thaïlande
La vie du Buddha dans l’art de l’Asie du Sud-Est
Les divinités brahmaniques dans l’art du Cambodge
Le textile en Indonésie

Glossaire
Bibliographie
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Doan Camthi

Introduction : Requiem pour une littérature d’illustration

Au cœur des débats qui agitent la société vietnamienne pendant le Renouveau, mouvement lancé par le parti communiste lors de son 6e congrès en 1986 sous l’influence de la Perestroïka soviétique, la littérature est directement interpellée : Peut elle continuer à fermer les yeux sur les réalités de son époque ? Doit elle servir le parti ou l’homme ? Comment rend elle à la vie ses formes, ses couleurs et ses vibrations ?
Sans critiquer ouvertement le parti ni ses principes marxistes léninistes, les écrivains réclament des changements et abordent les questions taboues. Vers 1986 1987, des textes comme Temps lointain, Un général à la retraite ou La Messagère de cristal, se démarquent du réalisme socialiste pour dénoncer la misère de l’homme ou le questionner dans les domaines du rêve et de l’inconscient. D’autres, Roseaux, Fragments de vie noirs et blancs, Les Paradis aveugles, remettent en cause la guerre ou la réforme agraire.
Un regard en amont fait prendre conscience de la lucidité des poètes tels Trân Dân et Lê Dat qui, dès 1954, ont dénoncé la servitude à laquelle le parti voulait soumettre les artistes. Leurs œuvres traduisaient, en dépit de la répression, une grande liberté à travers leur expression rythmique et lexicale. Incarcérés puis interdits de publication, ces écrivains ont été déchus de leurs « droits aux activités sociales » avant d’être réhabilités à la fin des années 1990.
Ainsi la littérature n’a t elle pas toujours été une arme au service de l’idéologie mais elle évolue malgré une étroite surveillance des autorités . Ces transformations internes, ces dynamiques endogènes doivent être ici éclairées pour dépasser la problématique rebattue des auteurs nécessairement passifs, aliénés même, face à un régime autoritaire. Nous verrons qu’à l’intérieur de l’Union des écrivains, association placée sous le double contrôle de l’État et du parti, s’élabore une critique et s’exprime une volonté de réforme.

Comment la littérature du Renouveau se situe t elle dans son époque ? Au lendemain du 30 avril 1975 qui marque la réunification, le Vietnam fait face à maintes difficultés sociales et économiques. Les guerres ont ébranlé en profondeur le pays et laissé leurs séquelles dans l’esprit de plusieurs générations. La planification de l’économie et son corollaire – une inflation croissante – entraînent une détérioration alarmante des conditions de vie. La crise avec la Chine, l’affrontement avec le Kampuchea démocratique, l’isolement par rapport au reste de l’Asie et l’embargo américain renforcent ces problèmes. Pendant ses dix premières années, la République socialiste du Vietnam se trouve parmi les pays les plus pauvres du monde. Le dénuement de l’homme est aussi matériel que moral. Son idéal ne résiste pas à l’épreuve du réel. Se dégradent par ailleurs bien des valeurs confucéennes qu’il croyait solides, tels le respect des parents, le mépris de l’argent, la fidélité conjugale, l’intégrité des fonctionnaires, la dignité humaine malgré la misère.
Face à cette situation, le réalisme socialiste peine à poursuivre sa narration positive sur les transformations « radicales » de la société depuis la Révolution et l’« homme nouveau », son héros forcément édifiant. Le 6e congrès qui marque une certaine rupture – sans jamais accepter d’ailleurs la moindre remise en cause du rôle du parti communiste – permet donc aux écrivains d’exprimer leurs premiers doutes.
La nouvelle Un général à la retraite de Nguyên Huy Thiêp, parue le 20 juin 1987 dans la revue Van Nghê, organe de l’Union des écrivains, fait l’effet d’une bombe. Cette tragédie d’un héros idéaliste qui, inapte à trouver sa place dans une société corrompue par l’argent, finit par se suicider, est relatée sur un ton détaché, dans une langue crue et avec un sens remarquable de la dérision . Si le talent du jeune écrivain est d’emblée reconnu, sa « morale » dérange. L’œuvre de Nguyên Huy Thiêp qui se poursuit en 1989 avec Il n’y a pas de roi – dont le titre, est il besoin de le rappeler, a également une forte connotation politique –, frappe par le désir du parricide. Le thème culminera dans Crime et châtiment où la mise à mort du père, qui ne relève plus de l’ordre du fantasme, est explorée dans son lien étroit avec l’inceste. Van Nghê est devenu un lieu de débat autour des textes de Nguyên Huy Thiêp, particulièrement ses récits historiques où il met dans la bouche de ses personnages des propos estimés « choquants » ou encore « salissant l’honneur national ». « Le Vietnam est une vierge qui, violée par la civilisation chinoise, en a éprouvé du plaisir, de l’humiliation et de la haine », déclare l’aventurier français de L’Or et le Feu. Nguyên Ngoc, rédacteur en chef de Van Nghê, fait alors preuve d’un courage extraordinaire en éditant dans ses colonnes non seulement des nouvelles de Nguyên Huy Thiêp, mais aussi des points de vue très différents sur cet auteur controversé.
À partir d’Un général à la retraite, tout vacille. Le 5 décembre 1987, Van Nghê publie Requiem pour une littérature d’illustration de Nguyên Minh Châu, figure majeure de la scène littéraire. Dans une confession douloureuse, l’auteur met à nu sa « lâcheté », celle de sa génération qui a « détruit sa propre personnalité et courbé sa plume devant le pouvoir ». Il montre comment la compromission avec les autorités a pour conséquence le « dédoublement » des écrivains vietnamiens : « Chacun semble écrire avec deux plumes : l’une s’adresse au lecteur normal, l’autre aux dirigeants. […]. Une parole sincère doit néces¬sairement être accompagnée d’une phrase flatteuse. Quelle lâcheté ! Au fond de lui même, tout écrivain doit le reconnaître. C’est la peur qui est à l’origine de cette veulerie. » Et il conclut par un constat amer : « Les écrivains n’ont plus de pensée, je veux dire de pensée novatrice et originale. Ils existent comme un être sans âme ou avec une âme vendue au régime. Tel est le résultat le plus grave de la littérature d’illustration . »
Lors de leurs entretiens avec les journalistes de Van Nghê, nombre de romanciers et nouvellistes « établis » prennent sans réserve position. Nguyên Minh Châu lui même exige que l’Union des écrivains soit une association « transparente et démocratique ». Nguyên Tuân se montre plus direct encore : « Regardons la vérité en face ! Osons la dire ! ». Dao Vu reconnaît : « Le problème est que nous n’avons pu ni voulu être nous mêmes en écrivant. » Ils réclament tous le « renouveau » : « Le renouveau, c’est d’abord la lucidité » (Nguyên Ngoc), « Changer pour s’améliorer et être plus original » (Huu Thinh).
Van Nghê publie aussi des reportages, genre littéraire souvent jugé marginal mais porteur de révélations et d’accusations, pour s’ouvrir à toutes les voix.
Jamais la prose ne s’est manifestée avec tant de force et de sensibilité en se donnant pour mission de « réveiller les consciences personnelles » face à l’injustice sociale croissante et d’évoquer les thèmes tabous tels la corruption ou les abus de pouvoir des fonctionnaires.
Si, avant 1975, la littérature se résumait aux seuls conflits Nous / Ennemi ou Modernité / Tradition, elle traite aujourd’hui de nos problèmes internes. […]. Alors qu’auparavant l’écrivain ne faisait que chanter la patrie et le peuple, il éprouve à l’heure actuelle le besoin d’enquêter, de débattre, d’interroger. On peut ainsi considérer les textes littéraires centrés sur les phénomènes négatifs de la société comme autant de placets et de pétitions,
écrit La Nguyên dans son article intitulé « La littérature vietnamienne à la croisée des chemins » paru dans Van Nghê le 5 novembre 1988.
Certains romanciers devenus célèbres à la faveur de la guerre, continuent à produire, mais s’écartent de leur univers habituel. Temps lointain de Lê Luu analyse l’échec d’un fils de paysans et ancien héros de guerre lors de sa « montée » à Hanoi. Peu préparé à vivre sa liberté et ses amours, le jeune homme se perd en ville, un monde en apparence paisible dont il ignore hélas les codes. Son drame, très courant, reflète les difficultés du Vietnam rural et guerrier dans son processus de modernisation. Dans La Saison des pommes de Cythère au Sud, Nguyên Minh Châu trace le portrait complexe d’un combattant de l’armée du Nord que la lâcheté et le carriérisme conduisent à la cruauté. Roseaux, une autre nouvelle de Nguyên Minh Châu, met à nu le face à face du personnage central, également cadre corrompu de l’armée du Nord, avec sa propre conscience, que l’auteur qualifie de « torture morale » où il est à la fois juge, bourreau et coupable.
Cependant, il faut attendre quelques années pour que le thème connaisse un renouvellement radical. En 1991, dans Le Chagrin de la guerre, très beau roman de Bao Ninh, un ancien soldat est tourmenté par des flots de souvenirs auxquels il essaie en vain de trouver un sens . C’est dans sa « recherche du temps perdu » qu’il découvre, à l’instar du Narrateur de Proust, sa vocation littéraire : « Il faut écrire ! Pour oublier, pour se souvenir. Pour se donner un but dans l’existence, une voie de salut, pour pouvoir supporter, garder l’espoir, continuer de vouloir. » Incapable de vivre en paix avec lui même, l’artiste maudit détruit son manuscrit inachevé. L’œuvre s’interroge sans cesse, à travers le destin de ce soldat devenu écrivain, sur le rapport de la guerre à la création. Que signifie la guerre ? Comment l’écrire ? Est il possible de la réconcilier avec la paix ?
Peu de temps après, le roman de Duong Huong, L’Embarcadère des femmes sans mari, décrit la guerre du côté féminin . Les paysannes d’un petit village souffrent de l’absence de l’être aimé. Elles risquent tout – amours interdites et désordres sexuels – pour combattre les angoisses de la destruction. La fin du récit est significative : l’héroïne s’effondre sur le cadavre de son père adoptif, cet ancien héros de Diên Biên Phu qui s’est donné la mort après avoir commis l’inceste avec elle.
L’angoisse est donc là, solidement ancrée au cœur de la victoire. Dans la même veine, la nouvelle de Vo Thi Hao, La Survivante de la Forêt qui rit, récit de la vie sur la piste Hô Chi Minh d’un groupe de jeunes femmes volontaires de l’armée du Nord que l’isolement entraîne au bord de l’hystérie, traite crûment des problèmes psychologiques et sexuels des combattantes pendant puis après le conflit, questions longtemps passées sous silence. L’œuvre foisonnante de cette écrivaine est peuplée de corps féminins victimes de la guerre. Nus, blessés, stériles ou porteurs de folie, ils sont autant de symboles du non lendemain.
L’enquête menée par la littérature sur les zones obscures de l’histoire du Vietnam apparaît nécessaire, indispensable même, pour en finir avec un passé douloureux. Certains textes remontent à l’origine du communisme pour dévoiler ses secrets, dénoncer ses crimes et participer à l’élaboration d’une prise de conscience collective. Deux mouvements organisés sous la direction du parti communiste, la réforme agraire (1953 1956) et la lutte contre les révisionnistes (1967 1972), sur lesquels les livres d’histoire se taisent, sont entrés dans la fiction. Leurs auteurs ont souvent une expérience directe des faits. Duong Thu Huong – Les Paradis aveugles –, Vo Thi Hao – Le Songe du hibou – ou Lê Minh Khuê – Un petit drame – mettent en scène les enfants de victimes de la réforme agraire, qui souffrent aujourd’hui de la solitude et de l’humiliation. Leurs récits démontrent ainsi la pérennité de la violence d’État. Dans ces textes traversés par des images de sang et de boue, les jeunes héros pressentent avec acuité une destinée tragique, d’où leur comportement suicidaire et leur renoncement à la fonction procréatrice.
Quant à Bui Ngoc Tân, auteur du roman Récit de l’an 2000, il a été victime du mouvement antirévisionniste qui a frappé l’élite révolutionnaire. Trente ans plus tard, il transpose ses expériences de détention dans un camp de rééducation en ce texte sensible, vigoureux et âpre sur les conditions humaines. L’œuvre, détruite par autodafé lors de sa parution en 2000, rappelle à bien des égards L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne.
Les auteurs disent avec clairvoyance comment, au Vietnam, la démocratie politique et les libertés individuelles, fondements des sociétés civiles, ont été souvent sacrifiées au nom de l’indépendance nationale. Leur évocation des conflits internes et des vendettas entre membres d’une famille ou d’une communauté, les place en porte à faux vis à vis du discours officiel qui chante la « solidarité millénaire » du peuple sous la direction du parti.
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Le Renouveau bien engagé, ne serait ce que sur le plan économique, le marxisme léninisme peine à survivre, comme en témoigne la formule contradictoire du gouvernement : « Une économie de marché à orientation socialiste. » À Hanoi, capitale autrefois austère et aujourd’hui nouveau membre de l’OMC, les slogans sur la pensée de Hô Chi Minh côtoient les publicités pour Hilton Opéra (le vrai hôtel de luxe et non pas l’ancienne prison pour aviateurs de B 52), les affiches de la lutte contre le sida et les vœux de bienvenue au président des États Unis, devenus le premier partenaire commercial du Vietnam.
Un tel terreau a favorisé l’émergence d’une génération d’auteurs qui bénéficie directement des acquis du Renouveau . Si tous n’ont pas moins de trente ans, la plupart sont jeunes : Khuong Ha Bui est née en 1985, Vu Phuong Nghi en 1983, Lynh Bacardi en 1981, Vi Thuy Linh en 1980, Nguyên Thi Thuy Quynh en 1979, Bui Chat en 1979, Ly Doi en 1978, Nguyên Ngoc Tu et Dô Hoang Diêu en 1976, Nguyên Huu Hông Minh en 1972, Nguyên Binh Phuong en 1965, Nguyên Viêt Ha et Trân Vu en 1962, pour ne citer qu’eux. Porte parole de la jeunesse, immense – les trois quarts de la population ont grandi loin des combats –, ils incarnent l’évolution de la littérature contemporaine qui, d’abord centrée sur les questions socio politiques, explore désormais la pluralité des voies de l’expression littéraire, afin de traduire les nouveaux rapports du Vietnam au monde, sa complexité, la rapidité croissante avec laquelle il se transforme.
Comment écrire ? Telle est la question capitale à leurs yeux. Le sujet compte toujours mais le matériau, la sensibilité, le style, la composition demeurent des préoccupations non moins grandes. Un contenu nouveau est pour eux indissociable d’une forme inédite. Leur ambition est élevée : plus qu’une arme idéologique ou un simple véhicule de la pensée, la littérature doit être une création. Ils sont nombreux à manifester le désir d’accomplir consciemment l’acte d’écriture. Dans le travail de Bui Hoang Vi, Nguyên Viêt Ha ou Trân Vu, la littérature se met en scène et s’interroge sur sa raison d’être, sa spécificité par rapport à d’autres arts. Dès 1988, dans un roman paru à Hanoi, La Messagère de cristal, Pham Thi Hoai manifeste son engagement total dans la forme. Avec cette écrivaine née en 1960, la langue retrouve son caractère ludique, sa beauté et sa fécondité. Avant de bifurquer vers le journalisme, elle a incarné les tourments créatifs du Vietnam d’aujourd’hui .
La tentative d’abolir la frontière entre vie et littérature traduit leur soif de composer avec les mots du quotidien, un vocabulaire souvent brut – un rasoir, l’Internet, se brosser les dents, faire l’amour, des perforateurs de béton – et non plus la lune, les fleurs, l’épée ou l’alcool, autant de métaphores de référence de la prose traditionnelle. Pour Thuân, jeune romancière vivant à Paris et considérée comme la plume sans doute la plus prometteuse de la nouvelle génération, écrire ne consiste pas seulement à imaginer une intrigue mais à atteindre une organisation, rigoureuse et harmonieuse, comparable à celle d’une œuvre d’art, à créer un maillage d’annonces et d’échos . Dans une œuvre à cheval sur le Vietnam post communiste et la France contemporaine, de Made in Vietnam à Vân Vy, les sentiers de son écriture conduisent, en même temps, à l’exploration de l’homme et du monde.
De Duong Thu Huong à Thuân, en passant par Dô Hoang Diêu et Nguyên Ngoc Tu, deux nouvellistes à succès nées en 1976, les femmes prennent aujourd’hui la parole. Elles expriment, par le biais de leur art, des sentiments et des pensées que l’éducation confucéenne les obligeait à taire. Leur rôle est capital dans le renouvellement des lettres grâce à la richesse de leur imaginaire et à la variété de leurs thèmes. Le Vietnam a certes, par le passé, connu des poétesses célèbres, de Doan Thi Diêm à Hô Xuân Huong, elles étaient toutefois marginalisées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Lors des cinq concours de nouvelles organisés par Van Nghê Quân Dôi de 1980 à 1996, les premiers prix ont tous été décernés aux femmes : Pham Thi Minh Thu en 1980, Lê Thi Thanh Minh en 1986, Y Ban en 1990, Nguyên Thi Thu Huê en 1994 et Trân Minh Ha en 1996. En 2006, une poétesse – Ly Hoang Ly – et trois écrivaines – Nguyên Ngoc Tu, Da Ngân, Thuân – ont reçu quatre des six prix de l’Union des écrivains.
Autre réalité : la prédominance de la nouvelle depuis une quinzaine d’années. Quel genre traduit mieux l’immédiateté et l’instantanéité, caractéristiques d’un pays en proie aux crises ? Quelle forme répond mieux au lecteur consommateur pressé des « temps modernes » ? La nouvelle est de surcroît adaptée à la presse, support en pleine expansion depuis le Renouveau, où les courtes fictions se mêlent souvent aux chroniques et faits divers.
Les revues, grâce à un public important, assurent par ailleurs aux nouvellistes des revenus confortables. On ne compte plus, à l’heure actuelle, les candidats aux concours de nouvelles : environ 800 auteurs pour Van Nghê Quân Dôi en 1994, plus de 1 700 pour Van Nghê en 2007. Les conditions matérielles risquent de conduire à une écriture facile, mais la réalité atteste que les brefs récits sont devenus un terrain de recherche et de création.
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La dernière décennie a consacré le retour de quelques très grands poètes longtemps proscrits tels Trân Dân, Lê Dat, Dang Dinh Hung, Phung Quan . Trân Dân, un des fondateurs du mouvement contestataire Nhân Van Giai Phâm, dont la plupart des textes sont restés inédits, s’est illustré par son refus de tout compromis politique. De lui, on connaissait notamment la strophe qui lui a valu la geôle, lors de la parution du célèbre poème Nous vaincrons en 1956 :
Je vais mon chemin
Sans voir ni la rue
Ni les maisons là bas
Je ne vois que la pluie ruisselant
Sur les drapeaux rouges.
Les caractères originaux et précurseurs de sa poésie, récemment appréciés en toute indépendance d’esprit et en dehors des interprétations politiques, permettent au public de renouer avec les valeurs esthétiques que le régime avait rejetées au profit des vertus marxistes léninistes. En réalité, l’œuvre de Trân Dân, durant sa longue clandestinité, a exercé une forte empreinte souterraine sur le travail d’une lignée d’artistes, de Nhu Huy à Duong Tuong en passant par Nguyên Huu Hông Minh. Les vers suivants révèlent un Trân Dân créateur en quête perpétuelle d’une identité singulière, d’une beauté insolite :
Longue comme toi, sauvage
Longue comme toi, dévêtue
Longue comme toi, transie
Longue comme toi, sans harmonie
Longue comme toi, timide
Longue comme toi, innocente
Longue comme toi, malheureuse.
De jeunes poètes émergent sur la scène littéraire. Citons le même Nguyên Huu Hông Minh dont le premier texte Dévorer un havre manifeste déjà un désir de rénovation et d’originalité, mais surtout Vi Thuy Linh, auteure de deux recueils de qualité – Soif et Linh – qui l’ont propulsée au premier plan de l’actualité littéraire. Née en 1980, la jeune femme écrit des vers libres qui font scandale en exaltant les amours charnelles. Avec Vi Thuy Linh, la poésie se fait subversive. Elle libère les pulsions sexuelles, engendre les figures du désir, abat les tabous :
Sur ma plante de pied, tu poses tendrement ta langue
Et tout l’univers devient liquide.
Autre signe du renouveau poétique : le mouvement Mo Miêng, fondé en 2001 à Hô Chi Minh ville par Ly Doi, Khuc Duy, Nguyên Quan, Bui Chat qui revendiquent leur marginalité comme lieu unique de combat et de création. Dans un poème intitulé Qui croyez vous que je suis ?, le jeune Ly Doi s’écrie :
… moi, citoyen ignominieux
génie alcoolique
timbré, assis dans la ruelle 47, philosophe sur les perforateurs de béton
je rêve des trous, des changements
et compose un poème à l’ancienne (au vocabulaire désuet)
sur les choses (que les habitants trouvent) évidentes !
voilà ce que je vous dis pour finir :
combien vous êtes insouciants
qui croyez vous que je suis ?
je suis celui qui crache sur son visage et sa conscience.
                                                              ¤¤¤
La marche vers une véritable liberté d’expression est chaotique, car, dès la fin de 1988, Nguyên Ngoc a dû se retirer. Trân Dô, président de la commission des arts et de la culture du parti communiste, a été écarté de ses fonctions au début de 1989 pour avoir défendu Duong Thu Huong, romancière « dissidente ». La revue Van Nghê qui a joué un rôle pilote dans le lancement du Renouveau, a perdu sa grandeur. Les écrivains recourent encore à des moyens métaphoriques pour aborder certains sujets. Une soirée autour du groupe Mo Miêng prévue à l’Institut Goethe à Hanoi le 17 juin 2005 en la présence des quatre poètes, a été interdite par la police. Un an plus tard, les autorités ont suspendu la diffusion d’un recueil des cinq poétesses du mouvement Ngua Troi en raison de son caractère « pornographique ».
Mais les progrès sont irréversibles dans le domaine des lettres. S’estompe l’image de l’artiste au service du peuple et du parti, à la fois éducateur et propagandiste. Du point de vue institutionnel, la vie littéraire a également changé. En septembre 2008, le recueil Trân Dân Poésie a été couronné par l’Union des Écrivains de Hanoi quelques mois après avoir été prohibé. Adhérer à cette institution n’est plus pour les auteurs une condition sine qua non pour se faire publier. Ils exercent divers métiers afin d’assurer leur liberté. À Hô Chi Minh ville, les membres de Mo Miêng vivent sur le trottoir, dans les taudis, les marchés aux puces, les bars, les gargotes, au milieu de la violence et du sexe. Pour contourner la censure, ils publient leur poésie sur internet ou la font circuler sous forme de photocopie.
Alors que l’État maintient son monopole dans le domaine de l’édition, il ne peut plus contrôler les pages web. Les discussions les plus animées sur Mo Miêng ou Trân Dân se déroulent sur Talawas et Tiên Vê, revues électroniques basées en Allemagne et en Australie. Le secrétaire général de l’Union des écrivains reconnaît que de nombreux débats littéraires existent « en marge » des journaux officiels. À l’âge de la mondialisation, la distinction entre l’intérieur et la diaspora est devenue absurde. Que ces jeunes auteurs vivent à Hanoi, à Hô Chi Minh ville, à Berlin, à Paris ou en Californie, que leurs conditions de vie et d’écriture ne soient pas les mêmes, leurs créations participent d’un Vietnam « autre », hétérogène et multiforme.
Sans prétendre à l’exhaustivité , cet essai analyse les thèmes essentiels de la littérature vietnamienne de 1986 à 2006 pour dresser un panorama et mettre en perspective ses orientations, ses acteurs et ses œuvres.

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